Nouveaux usages des jeunes ingénieurs, quête de l'innovation, mondialisation des marchés… Comment ces contraintes se traduisent-elles dans l'offre logicielle des éditeurs qui fournissent les bureaux d'études ? C'est à Thierry Lucotte, Président de Cadware et Serge Gauthier, Président d'Abisse, que nous avons posé la question. Ces deux entreprises sont les principaux revendeurs respectifs de SolidWorks et de Siemens PLM Software.
Révolution dans l'industrie : place aux jeunes !
L'industrie manufacturière est en forte mutation depuis cinq ans. Si l'on observe juste l'aspect conception de produits, on note trois facteurs clés qui bouleversent l'organisation des entreprises. Le premier est la nécessité d'intégrer une nouvelle génération d'ingénieurs dite « digital native ». Des collaborateurs qui souhaitent utiliser au travail les mêmes outils que dans leur vie privée. Une tendance baptisée Byod (Bring your own device) par les anglo-saxons. Et sous le mot outils se cachent aussi bien les smartphones, portables et tablettes tactiles, qu'internet et réseaux sociaux. Une véritable révolution dans l'industrie où l'on ne jure que par la stabilité des solutions informatiques, des procédures de travail et la traçabilité des échanges de données…
Les éditeurs, bien entendu, ont répondu à cette tendance. Ils copient désormais les solutions grand public. « On trouve par exemple dans nos logiciels la modélisation par subdivision, une technique dérivée de l'univers du jeu vidéo », souligne Serge Gauthier. Environnement Windows et ergonomie adaptée permettent désormais à des non-spécialistes de prendre en main les logiciels de CAO comme ceux de simulation. « Nos logiciels sont plus simples à utiliser et pourtant ils offrent toujours plus de couverture fonctionnelle. Les opérateurs sont guidés par des assistants qui leur permettent d'adopter les bonnes pratiques », rajoute-t-il. Avis partagé par Thierry Lucotte : « Les opérateurs doivent aujourd’hui avoir une palette de compétences plus large qu'avant. Or, nos clients PME et PMI n'ont pas les moyens des grands groupes en termes de ressources. Il leur faut des outils accessibles rapidement. Le parfait exemple est l'intégration de la simulation numérique dans les outils de CAO modernes, solutions de pré-dimensionnement spécifiquement adaptées à la population BE ».
Par ailleurs, on voit apparaître de plus en plus d'applications sur tablettes tactiles, Tablet-PC et des fonctions de réalité virtuelle. L'objectif est la mobilité qui permet notamment d'aller présenter son projet chez le client, mais également la disponibilité totale de son travail en tout lieu et à toute heure. Attention cependant, la mobilité concerne des cas applicatifs précis comme la revue de projet ou les configurateurs produits et non la totalité du cycle de développement produit prévient Thierry Lucotte. « Et, si les outils sont prêts, leur intégration dans l'entreprise va sans doute bouleverser leur organisation. Il s'agit de bénéficier des avantages de la mobilité sans risquer la propriété intellectuelle des données échangées. C'est là que nous intervenons en tant qu'intégrateur. Notre rôle est de jouer le catalyseur pour favoriser d'un côté le développement d'outils plus proches des besoins clients, et de l'autre aider les clients à parfois modifier leur organisation pour déployer efficacement ces solutions. »
Et le cloud, une stratégie trop en avance ?
Pour Serge Gauthier, le cloud est un avantage intéressant pour financer le développement des logiciels grâce à l'extension de la communauté d'utilisateurs payants. Pour les utilisateurs, il y a une forte réticence vis-à-vis de la sécurisation de leurs précieuses données ; même si cette crainte ne traduit pas la réalité du terrain. « Et puis, il reste encore des difficultés techniques liées, ne serait-ce qu'à la disponibilité sur tout le territoire de tuyaux assez rapides pour une utilisation professionnelle ». Constat partagé par son homologue de Cadware, avec cependant plus d'ouverture. Rappelons que Solidworks a lancé en début d'année 2013 Mechanical Conceptual, un modeleur destiné aux premières étapes de création d'un produit et totalement « on the cloud ». « La CAO et le PLM ne sont sans doute pas les bons sujets pour être exploités simplement à travers le cloud vu les volumes de données échangés. Pourtant, c'est une tendance inéluctable et tous les éditeurs développent des offres adaptées au cloud. Demain, nous proposerons ce type de solutions en tant que prestataire, il faudra cependant régler la problématique de SLA, garantie de service… », détaille Thierry Lucotte. Pour lui, le cloud va compléter les offres On Premise. Peu importe le business model qui sera choisi, le rôle des intégrateurs restera le même : accompagner les entreprises dans la mise en œuvre efficace de ces technologies.
Quel modeleur pour demain ?
L'industrie n'a plus le choix. Les entreprises doivent concevoir de nouveaux produits : plus informatisés, plus connectés, plus modulaires, plus personnalisés, etc. Modélisation avec historique, modélisation directe, solution hybride… quel sera le type de modeleur que les bureaux d'études utiliseront pour imaginer et créer ces produits de demain ? « Tous ces produits vont sans doute cohabiter, en fonction des différents besoins de chaque métier pour offrir le plus de flexibilité. Il n'y a pas d'exclusion d'un outil par l'autre », note Serge Gauthier. Pour Thierry Lucotte, ce n'est même plus un débat. « Les nouveaux utilisateurs qui arrivent sur le marché ont une idée de l'usage avant tout. Ce qui se trouve derrière un logiciel, un iPad ou un smartphone ne les intéresse que peu. C'est le signe de la maturité technologique : celle-ci disparaît devant l'usage qu'elle propose. Les entreprises ne nous posent plus la question sur le type de modeleur de notre offre de CAO. Aujourd'hui, les solutions proposées n'apportent pas suffisamment de rupture technologique pour que le choix du modeleur devienne un critère de décision. C'était en revanche le cas il y a près de vingt ans lors du lancement du mode paramétrique... ». Serge Gauthier souligne de son côté : « Il n'existe pas encore d'outil CAO capable de transmettre du paramétrage à un autre outil, il subsiste donc un cloisonnement entre solutions. Mais avec l'évolution des modeleurs CAO, il ne sera plus important à l'avenir de récupérer le paramétrage d'un modèle pour le modifier facilement. »
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