Vivons nous une crise ? Peut être pas. Nous retrouvons sans doute une période « normale », après une ère exceptionnelle de croissance sur tous les aspects de la vie. Dans toute son histoire, l'Europe n'a jamais connu une telle période exempte de guerre, de famine, d'épidémie, et bénéficié parallèlement de progrès accélérés dans les domaines de la santé, de la culture, de la liberté, de la justice et du confort matériel. Nos parents ou grands-parents, eux, ont connu des crises profondes avec la seconde guerre mondiale, le rationnement et l'exode. Enfants sans doute trop gâtés, nous redécouvrons la signification d'une maxime populaire : les arbres ne montent pas jusqu'au ciel.
Mais nous pouvons penser que ce rappel à l'ordre constitue une chance pour nos entreprises qui doivent se réinventer afin d'affronter la mondialisation qui les bouscule durement. La Reine de cœur dans le roman de Lewis Carole « De l'autre côté du miroir » explique à Alice, que dans son pays, il faut courir en permanence pour rester sur place. Beaucoup pensent que notre condamnation à une course perpétuelle est le résultat du choix occidental pour un modèle économique fondé sur la croissance. Les biologistes rappellent qu'il s'agit plus simplement de la loi de l'évolution darwinienne qui régit toute espèce vivante.
Depuis quatre milliards d'années donc, la vie n'a cessé d'innover pour perdurer. Le modèle évolutif R-K explique que lorsque l'environnement est instable, les espèces choisissent une reproduction nombreuse, très fréquente, mais avec un fort taux de mortalité. Mais si les conditions de vie sont prévisibles et les ressources régulières, c'est plutôt une fécondité restreinte qui est adoptée, mais avec un fort investissement dans l'éducation des jeunes. Jusque dans les années 70, notre industrie avait opté pour la première stratégie dite R. Voitures, réfrigérateurs, télévisions, et grille-pain équipent désormais la très large majorité de nos foyers. C'est une lapalissade de dire qu'elle doit désormais s'orienter vers une stratégie dite K, fondée sur la qualité et plus encore sur l'innovation.
Pour cela, un changement culturel s'impose. Nos écoles forment des ingénieurs très compétents pour développer et industrialiser des concepts ou des filières existantes. A la fin de leur cursus, ils n'ont d'yeux que pour les entreprises internationales ou les grands corps d’État. L'innovation se nourrit essentiellement d'un environnement contraignant et de la variation individuelle. La première condition est désormais d'actualité. C'est à notre modèle académique et à nos entreprises d’accepter la seconde, voire de favoriser cette divergence. De leur côté, les jeunes diplômés doivent être convaincus que leur salut professionnel passe, pour les plus brillants d'entre eux, par la création de leur propre activité. Inutile d'espérer, rien ne sera plus comme avant. Nous n'avons jamais cessé de courir. Il faut juste quitter notre couloir…
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