Denis Debaecker, Partner Vinci Consulting
Mikael Pichavant, Partner Vinci Consulting Operations
Persistance des baronnies, enjeu du décloisonnement
Qu’il s’agisse des cultures, des hommes et des systèmes d’information, on constate fréquemment la persistance de baronnies au sein des entreprises, avec des bastions R&D, commerce et supply chain murés dans leurs superbes isolements et la certitude de leurs spécificités.
Créatifs d’une part, productifs d’autre part, structurés par le PLM en amont, par l’ERP en aval, les échanges bien qu’on s’en défende, demeurent le plus souvent réduits à balancer des paquets de données à produire au-dessus d’un mur de séparation, pudiquement appelé interface ERP.
L’ERP a réussi à décloisonner l’entreprise mais plus sur le flux de données financières que sur le flux de données produit. Et pourtant, le flux produit R&D – Supply chain n’est-il pas le premier flux de données de l’entreprise ? Alors comment les PLM de nouvelle génération pourront venir au secours du décloisonnement de l’entreprise ?
L’enjeu est de taille si l’on veut tirer parti des investissements conséquents d’un PLM, accélérer les cycles de mise sur le marché et réduire les non qualités.
Le paysage des échanges PLM – Supply Chain
Dans les années 2000, il était de coutume de comparer les frontières entre le PLM et l’ERP, et de faire des pronostics sur quel domaine allait dévorer l’autre, ceci aiguillonné par les ambitions démesurées de certains PLM, ou par l’émergence de modules PLM des grands éditeurs ERP.
Si les modes progiciels passent, les flux évoluent moins. Les échanges PLM – Supply Chain en question sont nombreux et ne se cantonnent pas à juste passer des articles validés des études vers la production. Le rôle du PLM va plus loin. Il doit également supporter les processus allant de l’amont à la conception (ventes, marketing) à l’aval (prévisions, fabrication, après-vente) et se positionner en tant qu’outil support. Toute sa richesse ne peut être déversée par interface dans l’ERP !
En suivant la chronologie du cycle de vie des produits, il est possible de distinguer les points d’échange suivants :
- Dans le cas de produits configurables à la commande : la mise en cohérence entre les prévisions de vente à moyen / court terme (forecast) et les lignes de produits, familles de produit, variantes de produit et leurs répercussions dans les contrats cadres et plans d’approvisionnement ;
- Dans le cas de produits en configure to order : le PLM permet de pousser la standardisation et la différentiation très loin, d’autant plus que son intégration avec le manufacturing est dynamique et pertinente.
- Le flux principal de création validation de produits / composants ;
- Les échanges en phase amont de conception avec différents services de l’entreprise (marketing, achats…) : protos, consultations, appros anticipés ;
- Les modifications, y compris modifications tardives ;
- La remontée des informations de production (as built, numéros de série…) et leur utilisation en phase exploitation et service.
Ces types d’échanges sont plus ou moins connus et maîtrisés. Nous allons les observer à la lumière de l’apport potentiel du PLM.
- L’amélioration des prévisions de besoin en composants
- Dans l’industrie de série, les forces de vente ont l’habitude de réaliser des prévisions à long, moyen et court terme (forecast) ; les prévisions moyen et court terme s’appuient respectivement sur des familles de produit puis des produits. Par exemple donner des prévisions sur 12 mois des cartes à puces de telle génération avec des puces de telle capacité. Puis sur 3 ou 6 mois, des quantités par produit. Ceci nécessite de connaître les produits, les familles de produit et de les piloter (phase in, phase out, roadmaps produit). Ces prévisions peuvent être critiques en ce sens qu’elles permettront ou non de prévoir de passer des commandes (contrats cadres, plans d’appros) de composants propres à plusieurs produits, voire lignes de produit.
- Dans ce cas, les capacités du PLM à gérer des options et variantes, des plateformes communes, des composants ou solutions techniques réutilisables, peuvent être un atout pour améliorer l’efficacité des forecast de vente et d’approvisionnements. En effet, le MRP des ERP est souvent limité dès lors que la configuration des articles est complexe.
- La standardisation, la différentiation retardée
- Le point de découplage entre spécifique client et standard varie fortement selon le secteur et le modèle business. Emblématique dans l’automobile, cette démarche est encore limitée dans les secteurs équipements industriels et inégale dans l’aéronautique. Dans le cas de modèles business » configure to order ou make to order, il y a fort à gagner en plaçant le point de découplage le plus tard possible dans le processus de production, quitte à confier à des logisticiens spécialisés les dernières étapes de personnalisation. On citera comme exemples industriels la peinture de moteurs électriques, les plaques numéros de série (faisable par un logisticien), ou encore l’assemblage d’un bandeau propre à une marque sur un lave-linge, et le flashage en fin d’assemblage de logiciels embarqués spécifiques dans un sous-ensemble électronique.
- Le PLM a son rôle à jouer dans cette stratégie en isolant précisément dans la structuration des données les constituants / attributs susceptibles de varier d’un produit à l’autre. Dans l’exemple du logiciel embarqué, isoler dans une branche spéciale de la nomenclature la partie variable d’un logiciel embarqué permet d’avoir pour le hard et les cartes électroniques des assemblages intermédiaires identiques. Une intégration dynamique avec le manufacturing (déclenchement de l’interface en fonction d’une configuration choisie par le manufacturing par exemple) permet d’appliquer cette stratégie, au contraire de l’interface » classique » qui déversera les nomenclatures en masse depuis le PLM vers le manufacturing en espérant que l’ERP s’y retrouve…
- La construction et complétude de la conformité
- Une partie des qualités d’un produit ou d’un composant dépend de son processus de production, d’assemblage. Un couple de serrage par exemple est lié à une représentation du processus, et implique une description conjointe du produit et du process, que peut offrir le PLM. Un autre exemple est un traitement de surface pour tenue à la corrosion : ceci peut dépendre du process, et la garantie de la conformité du produit final ne peut en ce cas être dissociée de la modélisation du process.
- Cette modélisation peut être offerte par le PLM, par ses possibilités de décrire le produit et son processus de production. Le PLM est alors un outil commun conception – industrialisation et un point entre les deux mondes.
- Le PLM peut permettre en outre d’accueillir le données d’essais, tests, validation des produits, et par l’adjonction de rapports, d’automatiser la préparation des acceptations clients.
- Les échanges en phase amont de conception : protos, consultations, appros anticipés
- Du point de vue des approvisionnements et achats, un dialogue structurant s’établit entre les acteurs de la définition du produit et, via les achats, les fournisseurs. Le PLM ici fait foi : il doit assurer non seulement la rigueur et la traçabilité des informations échangées, mais aussi aider à constituer les » data-packages » échangés, et vérifier la maturité des plans ou spécifications envoyés. Les attributs de maturité des données sont les fondamentaux du PLM qui permettent de travailler avec rigueur dans ces phases amont.
- Un second aspect plus qu’utile du dialogue avec la supply chain est de permettre l’anticipation : par le marquage des articles à long délai, critiques, chers, single source ; une attention peut être communiquée aux acteurs de la supply chain, leur permettant d’anticiper ces approvisionnements.
- Il en va de même avec les prototypes, les articles concernés impliquant la encore une gestion fine et discriminante de la maturité de ces articles, la notion de » bon pour… » (consultation, proto, appros anticipés…).
- Le flux de création validation de produits / composants, et les modifications, y compris modifications tardives
- Il s’agit du gros des flux, que ce soit en création ou en modification, certaines industries ne travaillant que par empilage de modifications. Le dialogue avec la supply chain atteint ici une importance critique. Par exemple, lors de la décision de lancer / d’appliquer une modification, les processus outillés par le PLM doivent rendre compte des avis de la supply chain, dans les décisions et en particulier pour les choix d’effectivité : à quels exemplaires, lots, dates faut-il appliquer les modifications ? Des exemples fameux de dysfonctionnement existent chez tous les industriels : pour faire des réductions de coût, on applique une modification consistant à remplacer un composant par un autre un peu moins cher. Et si l’on omet de consulter les stocks, on risque de se retrouver avec de grandes quantités de l’ancien composant, déjà commandées, et devenues obsolètes, qui iront engraisser le stock mort…
- Pour l’après-vente, un autre point de dialogue concerne l’interchangeabilité : il s’agit de la nécessité de partager des règles critères clairs sur ce qu’est un article interchangeable avec un autre. Les critères usuels du bureau d’étude sont : Form, Fit, Function : même encombrement / forme, même interfaçage / branchements… et mêmes fonctions. Ces fonctions doivent recouvrir en théorie tous les métiers, comme la maintenance, la logistique. Enfin, deux articles interchangeables sont réputés être mélangeables en stock. Qu’en est-il alors de la traçabilité (lots…) ?
- La remontée des informations de production et d’après-vente (as built, numéros de série, as maintained…) est clé pour l’ensemble de l’entreprise
- Les informations sur la vie du produit dans sa Supply Chain doit remonter vers le PLM, après production, lorsqu’il s’agit de vérifier la conformité du » bas du cycle en V » : celle du « tel que produit » avec la configuration « telle que définie ». Cette » remontée de l’as-built » est l’occasion de spécifier les numéros de série des articles nécessitant ce suivi, ainsi que les écarts à gérer (déviations, dérogations). Ces fonctions du PLM sont autant d’information à partager entre les deux mondes et serviront à tous : aux études pour les retours d’expérience, à la production pour la gestion des stocks, à l’après-vente pour améliorer le taux de service…
D’autres points d’échanges pourraient également être abordés sous l’angle de l’apport du PLM à la supply chain : le design for X (prise en compte des contraintes X = production, manufacturing, capacité…) dans la conception ; le build anywhere et les notions de nomenclature industrielle centralisée (central mBOM), la gestion des kits et arborescences logistiques, et bien sûr la gestion des outillages, gammes, réglages, documentations de production ou maintenance comme les éclatés, etc.
Comme le montrent ces exemples décrits, la transversalité du PLM à travers la Supply Chain est vitale. Il est donc clé de ne plus présenter le PLM comme » l’outil de la R&D » mais comme la solution transverse qui permet à toute l’entreprise de partager les mêmes données produit, quelle que soit la complexité que son business re
uiert. Pour mettre en œuvre cette transversalité, le choix des priorités, l’évolution des processus impactés, la capacité des équipes à accepter ces évolutions viennent alors sur le devant de la scène, mais ceci est une autre histoire…