Les objectifs fixés par l’Union Européenne sont clairs : entre 1990 et 2030, il faut réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre (GES). Les Nations Unies vont plus loin et fixent 0% de GES en 2050 ! Des engagements qui peuvent paraîtres bien technocratiques mais qui vont sans aucun doute être répercutés sur les entreprises. Et on sait que l’Europe, et plus encore la France, sont toujours au premier rang de la classe sur ce type de démarche… Ecoconception et décarbonation deviennent de nouveaux intrants pour tout industriel qui conçoit et/ou industrialise un produit.
Comme le rappelait Olivia Martin, Senior Manager chez Mews Partner, à l’occasion d’un webinaire sur le sujet de la durabilité : « le respect de la règlementation n’est pas le seul enjeu. Il s’agit également de sécuriser les marchés existants, d’en développer de nouveaux, de réindustrialiser, d’être résilient dans un contexte changeant, enfin de répondre aux exigences nouvelles sur le sujet de la part de ses clients mais aussi de ses propres collaborateurs ». Et pour agir, c’est-à-dire écoconcevoir, le mieux c’est de le faire à la source du problème. Car 80% des impacts environnementaux et 70% des coûts sont liés à la seule phase de conception d’un produit.
ACV : Analyse du Cycle de Vie
L’écoconception repose sur deux fondamentaux : c’est une démarche multicritère, multi-impact, et c’est une démarche qui prend en compte tout le cycle de vie du produit/service. Evidemment, cette contrainte s’ajoute aux autres exigences en matière de performance, de prix, de qualité, etc. Comme la résistance du produit à sa chute, ou aux perturbations électromagnétiques, par exemple, il faudra donc évaluer son impact sur l’environnement. La méthode d’écoconception n’introduit donc pas de révolution, mais exige de nouvelles compétences. Notamment pour réaliser ce que l’on appelle une ACV : Analyse du Cycle de Vie.
« On démarre avec une ACV à grosses mailles de la performance environnementale, et un cahier des charges fonctionnel de son projet. L’objectif initial est de hiérarchiser les critères qui impactent l’ACV. Donc de savoir sur quels paramètres il faut agir en priorité : matériaux, géométrie, scénarios d’usage, gamme de fabrication… ? Au fur et à mesure des développements, et des modifications, on va lancer de nouvelles ACV pour évaluer leur impact sur l’environnement. La démarche fonctionne classiquement par itération, en rentrant dans le détail et avec des données plus précises, plus réelles, jusqu’à la comparaison du bilan ACV final par rapport à la cible initiale » explique Olivia Martin.
Une approche « multicritère »
L’analyse du cycle de vie est l’outil le plus abouti en matière d’évaluation globale et multicritère des impacts environnementaux. Cette méthode normalisée permet de mesurer les effets quantifiables de produits ou de services sur l’environnement. L’ACV consiste à inventorier les flux de matières et d’énergies entrants et sortants à chaque étape du cycle de vie d’un produit. A partir de ces données, on procède à une évaluation des impacts environnementaux, les plus couramment retenus étant l’effet de serre, l’acidification, l’eutrophisation, l’épuisement des ressources naturelles. On retient également en général comme indicateurs la consommation d’énergie et la quantité de déchets générés. Enfin, il s’agit d’interpréter les résultats de cette analyse et d’en déduire les leviers d’amélioration pour le produit en question. Notons que l’ACV peut avoir également d’autres objectifs comme la comparaison d’approches techniques ou d’organisations industrielles du point de vue environnemental, ou encore la communication de performances environnementales de votre produit.
Les outils de l’ACV ?
Il en existe de nombreux sur le marché, le plus connu est SimaPro. Certaines entreprises comme Decathlon ou Michelin ont même développé leur propre solution. Le logiciel d’ACV permet de calculer les impacts environnementaux potentiels à partir des données d’inventaire. Il aide à construire le modèle de cycle de vie du produit et à y associer les processus élémentaires correspondants. Il intègre donc plusieurs méthodes d’évaluation et différentes bases de données répertoriant les informations sur les flux entrants et sortants pour chaque type d’activité. Ces bases comme Ecoinvent ou Gabi répertorient des moyennes d’équivalents CO2 sur les différents aspects de votre projet (matériaux, type de pièce, quantités fabriquées, transports utilisés, etc.) qui complèteront ce que vous pourrez récupérer comme données réelles auprès de votre chaîne de valeur. Ces logiciels sont relativement difficiles à exploiter pour un néophyte. « Tout l’enjeu de l’ACV est justement de favoriser la collaboration entre ingénieurs concepteurs et spécialistes des impacts environnementaux favorisant la mise en place de bons réflexes chez les premiers par acculturation avec les notions de durabilité » ajoute Olivia Martin.
Mais les éditeurs de logiciels de CAO, PLM, simulation sont également de la partie. Pour Xavier Adam, responsable des outils Sustainability chez Dassault Systèmes : « C’est une vraie tendance de fond. L’éco-conception à travers ses logiciels d’ACV était jusque-là un outil de niche. Désormais, c’est un aspect indispensable pour la majorité des sociétés qui s’adressent à nous. Nous avons même créé une unité sustainability pour répondre aux demandes. D’ici 2025, nous souhaitons que 2/3 de nos nouveaux produits contribuent au développement durable, à travers la prise en compte des 17 objectifs définis par l’ONU sur le changement climatique. »
Même son de cloche pour Olivier Helterlin, Pdg de PTC France : « l’Europe est en avance sur le sujet par rapport aux USA. Mais PTC a créé un poste de responsable sustainability aux USA, signe d’une réelle prise de conscience du sujet. Et nous avons tout un panel de solutions numériques qui apporte une réponse adaptée. Au niveau de la conception, du PLM, mais aussi de la boucle permettant de récupérer des données depuis les objets connectés, et même de la réalité augmentée diminuant les temps de cycle de développement. Et c’est désormais le marché, plus que la règlementation, qui vous sanctionne si vos produits ne sont pas au niveau en termes de durabilité. »
Comment déployer ?
Comme toute démarche méthodologique, l’écoconception répond à un état des lieux de l’entreprise permettant d’établir une feuille de route en fonction de la stratégie visée. Le plus efficace est ensuite de lancer un projet pilote, sur un produit simple, pour expérimenter la démarche et vérifier sa validité à travers le résultat. L’étape suivante est de structurer et d’accompagner la transformation des services concernés à l’aide d’une formation à l’écoconception. L’Ademe peut être une ressource utile pour vous accompagner, mais il existe également des prestataires privés comme EcoLearn, jeune entreprise qui propose des cours en ligne pour les dirigeants, les managers, mais aussi les experts en développement durable. Ces formations sont soit généralistes, soit thématiques ou orientées métiers pour les ingénieurs, les achats, la supply chain, la finance, etc.