Le 15 octobre dernier, l’association Micado donnait rendez-vous à ses adhérents à l’école des Arts & Métiers de Paris pour un petit déjeuner sur le thème : «De l’innovation au pré-dimensionnement : comment utiliser efficacement la simulation en phase amont de conception ».
Quelle est la place de la simulation dans la créativité et le développement produit ? Pour apporter des éléments de réponse, l’association Micado a demandé mi-octobre à plusieurs spécialistes de la création, de la simulation et du développement produits, de partager leurs expériences et leurs avis sur ce thème.
De la simulation dans les phases créatives
Selon Fabrice Mantelet et Frédéric Lesage, du Laboratoire Conception de Produits et Innovation à l’Ensam de Paris, premiers intervenants de cette matinée, le processus de création de nouveaux produits au sein de leur laboratoire suit un parcours balisé. Il débute par l’introduction du besoin, suivie de phases de conception générale puis de conception détaillée. Vient ensuite une étape de validation de conception avant la fabrication d’un prototype puis le travail sur l’industrialisation. « C’est une succession de phases divergentes, pour faire germer les idées, et de phases convergentes qui « font le tri » dans les idées émises. La simulation a sa place dans ces phases d’évaluation qui interviennent à différents moments », explique Fabrice Mantelet.
Ces concepteurs souhaiteraient intégrer des calculs plus en amont dans ces processus mais il reste des obstacles à surmonter. D’abord, les échelles de temps entre le monde de la créativité qui compte en minute et celui de la simulation qui compte en heures ou en jours, sont difficilement compatibles. Des solutions se dessinent : réaliser les calculs « off-line » entre deux séances (elles sont souvent espacées de plusieurs jours) ou utiliser des modèles simplifiés afin d’effectuer des calculs de validation rapides. Attention toutefois, « il faut avoir conscience des limites de la simulation. On ne peut pas conclure de façon sûre avec des modèles trop simplifiés et il faut du temps pour tester efficacement les modèles », alerte Nathalie Schmitt, de Renault. Autre voie à suivre, « créer une base de connaissance qui permettrait de trouver la simulation la plus proche du cas étudié, propose Jean-Marc Crépel, président de l’atelier Simulation Numérique de Micado. Nous procédons ainsi chez Renault où des calculs nous permettent de classer les designs en fonction de certains critères très tôt dans le processus de développement ».
Dans ce sens, l’usage de logiciels d’optimisation topologiques est aussi intéressant. Mais avec prudence car « ces solutions peuvent proposer des géométries de pièces intéressantes et que l’on n’aurait pas imaginées a priori, mais elles ne sont pas toujours faisables industriellement », reconnait Jean-Marc Crépel. Et d’ailleurs, « la simulation ne suffit pas à trouver une solution viable », poursuit-il.
La simulation fait preuve de créativité
Les concepteurs veulent disposer d’outils « rapides ». Lors de sa présentation traitant de l’apport du calcul vibro-acoustique pour le confort des passagers dans l’automobile et le spatial, Mohamed-Ali Hamdi, enseignant-chercheur à l’Université technologique de Compiègne (UTC), a cependant souligné la complexité de cette démarche dans sa spécialité. « Dans ce domaine, on ne calcule pas une pièce isolée mais un système », note-t-il. Cela peut toutefois être compatible avec la notion de créativité. « Notre but est d’inventer l’outil qui va permettre aux concepteurs d’innover. Les problèmes sont complexes et il faut souvent faire preuve de créativité pour en déterminer la source et trouver les solutions », explique-t-il. Ces processus nécessitent du temps. « Bien modéliser, c’est bien comprendre la physique. Pour mettre au point des modèles simplifiés il faut valider des modèles complexes avant. Cela nécessite de l’interaction entre les chercheurs et les concepteurs ». Enfin, « il ne faut pas que les contraintes de coût et de temps dictées par les des industriels empêche toute créativité ».
24 cad-magazine – N° 152 – novembre-décembre 2009
Des calculs automatiques font gagner du temps
Les outils de calcul en amont dans la phase de développement des produits arrivent, comme en témoigne l’opération lancée par le centre technique Dinccs de Micado et Faurecia, thème de la troisième présentation de cette journée. Depuis un an maintenant, l’équipementier utilise une application de prédimensionnement en phase d'acquisition sur des tablettes arrière de véhicule. « A partir de fichiers Catia, cet outil crée un modèle paramétré pour la simulation, assure la mise en données automatique et lance des calculs dans Abaqus », détaille Nicolas Gardan, du Dinccs. Résultat, quand une dizaine d’itérations (soit une dizaine de jours) étaient nécessaires pour obtenir un devis fiable, le nouvel outil de Faurecia lui permet de se contenter de quelques itérations d’une trentaine de minutes chacune. La présence d’un expert est cependant toujours nécessaire à l’interprétation des résultats.
Un tel outil automatique peut être perçu comme un frein à la créativité puisqu’il bride les variantes possibles du produit final. Ce n’est pas l’avis du Dinccs. « On gagne en créativité car on libère du temps pour le traitement des cas non classiques », répond Nicolas Gardan.
Le temps gagné pour le BE permet ainsi de faire des propositions innovantes et l’expert peut en profiter pour explorer des variantes qu’il n’aurait pas le temps de traiter autrement.
Des constats et des questions
De ces trois témoignages, plusieurs constats s’imposent. D’abord, si la tendance s’oriente vers des outils de calculs simples et rapides destinés à des concepteurs plutôt qu’à des spécialistes de la simulation, la place des experts reste prépondérante dans le processus. D’ailleurs, « on demande déjà beaucoup aux concepteurs. Ne serait-ce pas trop que d’exiger également d’eux qu’ils assurent les calculs et les simulations ? », s’interroge Jean Wild, de Schneider Electric. Cette remarque remet en exergue la nécessité de capitaliser les connaissances acquises lors de projets pour accélérer ceux qui suivent. Ensuite, tout calcul s’appuie sur des modèles numériques. « La simulation peut donc être intégrée lorsque l’on doit faire des choix entre plusieurs solutions. En phase de créativité pure, on ne dispose pas encore de modèle », note François Costes, de Nafems. Equation insoluble ? Non, répond Julien Badin, de l’Université de technologie de Belfort-Montbeliard : « Il y a deux types de créativité : globale et locale. Il est nécessaire de savoir dans quelle créativité on se situe pour définir le type de simulation dont on a besoin ». Et à ces deux démarches distinctes semblent correspondre deux simulations : celle de l’exploration basée sur des méta-modèles et une base de connaissance et celle destinée à l’évaluation fine de la physique. Mais si la seconde est très développée, la première n’en est qu’à ses débuts…
Cette journée a permis de prouver une chose : « la créativité n’est pas réservée au monde du style. D’ailleurs, il y a des domaines qui pourraient sans doute profiter des calculs en amont, notamment l’architecture ou la créativité est une base du travail », commente François Costes, de Nafems. Mais « on est loin d’avoir épuisé la question » reconnaissait Jean-Marc Crépel en conclusion à ce débat. Ce thème devrait donc certainement ressurgir dans une prochaine matinée de l’association. Pas dans la prochaine, toutefois, qui se tiendra en février 2010 en partenariat avec Imagina 2010 et traitera de « l’apport de la réalité virtuelle comme un levier pour améliorer les résultats de la simulation ».