Olivia Martin, Senior Manager au sein du cabinet de conseil Mews Partners présente sa vision de l’évolution de l’Eco-Conception, tant dans la démarche, que dans les méthodologies, les outils et les compétences à mettre en place.
En 2015 notre enquête Mews Lab Eco-Innovation avait montré que les entreprises étaient passées au « Green Working », s’engageant dans des actions et organisations spécifiques à l’éco-conception : 80,4 % du top management se déclarait impliqué. Les exigences réglementaires représentaient alors 36 % des raisons d’y aller, les exigences client 2 %, l’image de marque 13 %.
En 2022, la donne a changé : l’image de marque, notamment auprès des jeunes, et le marché plébiscitent le respect environnemental et rivalisent en importance avec les exigences réglementaires. Des lois et réglementations ont été mises en place et se renforcent, touchant l’ensemble des secteurs industriels. Les entreprises doivent s’adapter à un marché en évolution, tout en assurant leur rentabilité. Gouvernance, organisation, méthodes et outils sont à adapter pour satisfaire aux nouvelles exigences.
Les entreprises peuvent aller plus loin que le strict respect des réglementations. L’éco-conception comme levier de réduction de l’impact environnemental d’une entreprise peut même devenir un avantage concurrentiel. Travailler dans les phases amont de la conception, en considérant l’ensemble des étapes du cycle de vie produit, permet d’agir au moment où la liberté de choix est maximale. Comment y parvenir ?
Comprendre en profondeur sa situation de départ
L’entreprise doit d’abord bâtir l’état des lieux de son impact environnemental. Elle peut s’appuyer sur des check-lists ou des outils d’ACV (Analyse de Cycle de Vie), afin de comprendre où se situent les enjeux les plus forts (phases de cycle de vie, usages, caractéristiques…).
L’ACV « intégrale » analyse les flux de matière et d’énergie entrants et sortants sur toute la chaîne de valeur (incluant Supply Chain, logistique…) et quantifie les impacts d’un produit par unité fonctionnelle.
Cet état des lieux s’appuie sur les données du référentiel produit. Le PLM, au travers des outils et processus mis en place, peut s’avérer précieux : gérées en configuration, la BOM (Bill of Material), la BOS (Bill of Substances) et la BOP (Bill of Process), peuvent en effet fournir une part notable des données nécessaires à l’ACV. Les solutions PLM évoluent en ce sens et s’adjoignent désormais des modules de suivi des émissions carbone. L’effort doit continuer pour être capable de capturer les données de la chaîne des fournisseurs et, au-delà des outils que les éditeurs commencent à proposer, adapter les méthodes et l’organisation.
Se fixer des objectifs
De la connaissance et de l’évaluation de sa situation, l’entreprise déduit ses leviers d’amélioration potentielle et définit ses propres objectifs environnementaux. A haut niveau, cela peut nécessiter de faire évoluer le système de valeur de l’entreprise : quelles ambitions fondamentales l’entreprise veut-elle traduire dans ses produits et services, comment sont-elles hiérarchisées, quantifiées ? Certaines sont-elles négociables ? Selon l’importance de la dimension environnementale, il peut parfois s’agir d’inventer des concepts et des modèles d’affaires nouveaux, en rupture avec la stratégie produit existante.
A l’échelle d’un produit ou service donné, l’entreprise doit également caractériser ses exigences environnementales : emploi de matériaux recyclables, réduction des consommations d’énergie, valorisation/réemploi des matériaux…, ainsi que les niveaux visés.
Arbitrer et optimiser le rapport valeur-coût-environnement en conception
Très tôt dans le projet, les objectifs environnementaux visés vont être confrontés à d’autres objectifs comme le coût ou la valeur client. Concilier performance et soutenabilité du modèle d’affaires devient un impératif qui met à l’épreuve les modes d’arbitrage et de décision. S’appuyer sur le « Design to x » ou « Co-design to x » devient alors incontournable. Pratiquée en majorité sous la forme du « design to Value / to Cost » pour optimiser le rapport valeur-coût, cette méthodologie offre un canevas systémique permettant d’intégrer les dimensions environnementales comme variables supplémentaires pour une optimisation sur l’ensemble du cycle de vie produit.
Les objectifs environnementaux fixés se retrouvent in fine dans un cahier des charges fonctionnel donné au concepteur et aux fournisseurs. Pour trouver des solutions, le concepteur va explorer le champ des possibles – certaines exigences pouvant être simultanément remplies, d’autres non – le contraignant à imaginer des compromis. L’utilisation d’un jumeau numérique dans ces phases d’exploration va permettre de simuler de manière prédictive les performances, et ainsi de nourrir les critères retenus pour arbitrer entre les différentes options de conception. L’ACV notamment peut être utilisée pour éclairer les arbitrages logistiques, d’éventuels transferts de pollution inhérents à l’analyse multi-étapes/multi-critères.
Démarrée en conception générale, la démarche ne doit pas s’arrêter une fois les choix de conception réalisés, mais s’inscrire dans la durée. Le produit va vivre dans le temps, sera affecté par des demandes de modifications tout au long de sa vie. Ces demandes doivent être étudiées au regard des critères de choix définis préalablement, incluant la dimension environnementale.
Pour conclure, mettre en place une démarche d’éco-conception globale multi-critères nécessite donc des méthodologies pointues d’ingénierie, pour lier des variables à dimension environnementale aux autres paramètres de décision. Les méthodologies de « Design to X » permettent de formaliser les variables, leurs objectifs et de pouvoir s’y référer lors de l’évaluation d’alternatives de conception. Plutôt qu’en parallèle du processus de conception, l’éco-conception est bien à intégrer dans celui-ci sur le plan organisationnel, des méthodes et des outils, ce qui est encore trop peu le cas.
Du coté méthodes et outils, les outils d’ACV restent encore assez peu intégrés aux outils de la conception. D’un point de vue organisationnel, les compétences environnementales restent également encore assez peu intégrées : des experts ACV d’un côté, des concepteurs de l’autre.
La transformation doit s’opérer et être accompagnée dans les processus, les modes de conception, et les réflexes des concepteurs pour rechercher l’optimum multi-facteurs des futurs produits et services, sensibiliser et rendre capable l’organisation sur toute la chaine de valeur.