Jumeau numérique

JUMEAU NUMÉRIQUE : VERS UN CHANGEMENT DU BUSINESS MODEL

Le jumeau numérique était le thème de la seconde table
ronde de notre évènement Manufacturing Digital Innovation.

Ce fameux Digital Twin qui bouscule les business
model des entreprises en permettant, par exemple, de
passer de la vente d’un produit ou d’une machine à celui d’un
service ou d’une performance grâce au lien entre virtuel et
réel.

  • Hervé DAMON Responsable process usinage – PCI SCEMM
  • Emily BARNES Responsable IoT et entreprise digitale – SIEMENS
  • Ariane PIEL Ingénieur chercheur au CEA-List
  • Eric PADIOLLEAU Chargé de mission IoT – CETIM

GAGNER EN PRODUCTIVITÉ GRÂCE À UNE MACHINE
VIRTUELLE

La définition du jumeau numérique (JN) pour Eric Padiolleau : « c’est une technologie identifiée comme prioritaire à l’horizon 2025. En deux mots : une maquette numérique connectée à un système réel pour permettre des échanges afin d’obtenir un modèle fidèle de la réalité. Les applications ? Pour les PME c’est avant tout pour optimiser les process, passer à la maintenance prédictive, ou aider la conception. »

PCI-Scemm utilise une des briques du jumeau numérique : la simulation du code Iso des MOCN à travers le logiciel NCSimul de la société Hexagon. Cette machine virtuelle simule l’environnement 3D, le process d’usinage, mais surtout la commande numérique et les réactions qu’elle génère sur la machine-outil. « Par rapport à une chaîne FAO classique, ce modèle numérique très proche de la réalité permet des gains de productivité de l’ordre de 10 à 30 % sur les pièces finies et d’avoir une liberté totale quant à la stratégie d’usinage la plus favorable. Une anticipation majeure qui nous fait gagner un temps précieux dans la mise au point du process. Pour nous, vendre une machine devient presque accessoire. Nous vendons désormais des lignes de fabrication avec des objectifs de productivité, un niveau de qualité et une efficience globale contractualisés avec nos clients. »

CHANGER DE BUSINESS MODEL

Un vrai changement de business model, et l’application directe du virtual commisionning, c’est-à-dire la mise en service virtuelle d’un équipement de production. Emily Barnes : « si cette technologie liée à la commande numérique n’est pas nouvelle, elle est aujourd’hui stable et très accessible. Le point clé du jumeau numérique est toujours : quel est mon objectif ? Anticiper la production d’une pièce, vérifier que la cadence est bien tenue, que la performance d’une machine en mode dégradée est acceptable, quel sera l’impact d’un travail en 2X8 ou 3×8, etc. Exemple d’application : installation d’une machine au sein d’une ligne existante de production de verre. L’enjeu est d’arrêter la production le moins de temps possible, et d’être sûr du fonctionnement nominal au redémarrage. Grâce au jumeau numérique, le client a pu vérifier la cohérence de l’ensemble, les modes dégradés, les cadences… et ceci à distance, puisque l’usine était à l’étranger. »

RACCOURCIR, VOIRE SUPPRIMER LES DISTANCES

Les travaux et le rôle du CEA-List par rapport au jumeau numérique ? Le transfert d’innovation vers les entreprises, avec par exemple le consortium Factory Lab qui regroupe des fournisseurs, des chercheurs, des intégrateurs et des entreprises industrielles. Celui-ci travaille sur les technologies 4.0 et le jumeau numérique en particulier. Les projets de R&D correspondent ainsi précisément aux besoins des industriels, et exploitent des briques technologiques disponibles.

La crise sanitaire et le télétravail qui en découle vont-elles pousser les industriels à s’intéresser davantage aux solutions de JN ? « La distance nous a peu pénalisé et nous avons honoré tous nos livrables grâce entre autres au JN » explique Eric Padiolleau. « Remonter des alertes à distance, et pouvoir agir en cas de dérives manifestes du jumeau physique, voire corriger le jumeau virtuel pour coller plus à la réalité peut évidemment être très intéressant en cas de travail à distance. »

Emily Barnes : « la crise a poussé beaucoup d’entreprises à sauter le pas, à découvrir l’intérêt de cette technologie. L’automaticien n’a plus besoin d’être à l’usine pour faire son programme. Il peut le faire n’importe où. Auparavant, on devait envoyer parfois très loin un technicien pour la mise en service. Désormais, on peut parfois s’en passer et en tout cas limiter la durée d’intervention sur place. »

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MAÎTRISE DU RISQUE INDUSTRIEL

«Rajoutons que la crise du Covid a montré qu’il fallait parfois changer rapidement des paramètres de production. Le jumeau numérique permet dans ce cas de tracer une nouvelle trajectoire parallèle à celle initialement prévue et de gérer de nouveaux modes de production en totale agilité. Ou bien adapter ma ligne de production pour tenir la distanciation physique, un problème parfois complexe sur des installations anciennes, mais traitable par le jumeau numérique » ajoute Ariane Piel.

LES FREINS AU DÉPLOIEMENT ?

On assiste à la levée d’un premier verrou : la remontée des données usine avec des offres sur étagère. Ariane Piel : « encore faut-il interfacer facilement et en temps réel celles-ci avec le jumeau virtuel et donc choisir la granulométrie du modèle réel. Il reste donc du travail sur la réduction des modèles numériques pour simuler seulement le juste nécessaire. »

Il existe en effet des boîtiers se pluggant sur les machines et capables de remonter les données des automates vers les outils de traitement amont. Quelles données ? et à quelle fréquence les prélever ? sont les questions essentielles à se poser pour éviter la sur-instrumentation. Les données sont souvent déjà existantes mais dormantes. Et pour des informations difficilement récupérables, le jumeau numérique permet de plus en plus souvent de modéliser des capteurs virtuels. « Exemple basique : on dispose des valeurs de courant/tension d’un moteur électrique, et bien le courant sera l’image du couple et permettra facilement de détecter une surcharge ou un profil de mission imprévue » explique Eric Padiolleau.

CONCEVOIR L’APPLICATION EXPLOITANT LE JN ?

« Nos solutions de programmation Low code et de dashboarding permettent déjà de visualiser clairement ce qui se passe dans les machines des clients, puis de passer à l’étape suivante de l’application d’optimisation, d’intelligence, etc. » explique Emily Barnes.

Quant à l’application Papyrus du CEA, « il s’agit d’une plateforme open source pour la mise en place du jumeau numérique fonctionnel des processus de production, modéliser les ressources disponibles matérielles ou humaines, puis lancer les simulations de ce modèle, et enfin rajouter les couches d’optimisation afin de résoudre des problèmes spécifiques. C’est un modèle qui n’utilise pas forcément la 3D ou les équations physiques qui le régissent. Mais il est possible en fonction de son objectif de coupler ces différents modèles » détaille Ariane Piel.

LA PROCHAINE ÉTAPE ?

Pour Hervé Damon, c’est la remontée des données physiques des machines pour exploiter un jumeau virtuel fidèle. Et d’une manière générale, le graal serait de couvrir l’intégralité du cycle de vie des produits/équipements, depuis la conception jusqu’à son recyclage en passant par sa fabrication et son usage. Une boucle complète, fermée, suivant les évolutions du produit ou du process observé et de son environnement, enfin capable de s’optimiser automatiquement selon des critères établis. Le jumeau décidera lui-même des meilleurs paramètres à utiliser pour aboutir à l’objectif souhaité…

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