Interview Denis Goudstikker, Business developpment PLM Siemens Industry Software
Cad-Magazine : Dans le cadre de l’ingénierie, le home-office n’est-il qu’une extension du travail collaboratif à distance ?
L’ingénierie à distance est possible depuis plusieurs années à l’aide de nos solutions web based, à travers ou sans VPN. C’est ce que font les entreprises industrielles avec leurs partenaires de développement géographiquement distants. Elles bénéficient de l’encryptage des données échangées et de solutions flexibles pour gérer les accès licences. Avec la crise du Covid-19, le cas du home office pose de nouvelles questions. La première porte sur la gestion des licences logicielles. Certains contrats prévoient en effet un droit d’usage seulement local des logiciels, d’autres l’autorisent sur plusieurs pays. Pour accéder à son logiciel, l’utilisateur doit dans certains cas se connecter à son serveur d’entreprise centralisant les droits d’accès. Or, ce qui n’est pas toujours possible en fonction de son lieu de résidence. Pour simplifier cela, à l’occasion de la crise sanitaire Siemens a levé temporairement toutes ces restrictions pendant le confinement.
La seconde difficulté rencontrée par les industriels lors du passage de leurs collaborateurs en home-office repose sur la sécurisation et la validation des étapes de développement de leurs produits. Les workflows de conception, de modification, de gestion de configuration… exigent en effet des approbations formalisées. C’est surtout vrai dans des secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou la défense.
Avec des collaborateurs travaillant chez eux, il est difficile de maintenir ces processus, ne serait-ce par exemple que le cryptage des échanges de données, si le collaborateur ne peut accéder au serveur d’entreprise stockant les clés de décryptage. Même difficulté avec la signature électronique, ou encore l’obligation pour les programmes militaires que les développements soient effectués dans des locaux sécurisés. Plusieurs de nos clients ont été bloqués par ces obstacles. Dans certains cas, ils ont dû faire intervenir au domicile de leurs collaborateurs des prestataires pour mettre en place les outils garantissant les procédures de sécurisation propres à leurs activités.
Cad-Magazine : La crise du Covid-19 entérine-t-elle l’aspect indépassable de l’usage du cloud pour les sociétés d’ingénierie ?
Le cloud n’est finalement qu’une structure offrant davantage de souplesse d’accès aux solutions numériques. Une grande partie de Siemens NX est disponible en cloud, à travers les services Amazon par exemple. Même chose pour la simulation avec notre partenaire Rescale. Accessible depuis au moins 5 ans en cloud, Teamcenter X est désormais utilisable en plus en mode SaaS.
Mais, depuis un an, donc avant la crise sanitaire, l’usage du cloud a explosé. Les industriels très frileux il y a peu ont désormais confiance dans cette infrastructure. Les fournisseurs de services ont démontré leurs capacités à gérer efficacement les aspects sécurité et confidentialité : choix contractuel de la localisation des données, outils d’encryptage puissants, utilisation de mots de passe longs, cartes à puce d’identification personnelle, sauvegarde automatique des données, taux de disponibilité de 99,9 %…
Siemens propose également une technologie spécifique, Teamcenter for EDRM, qui encrypte les données en ajoutant des clefs spécifiques, et des licences sur les données. Pour pouvoir les consulter, il faut se connecter à un serveur qui détient ces droits spécifiques. Cela se pratique depuis plusieurs années lorsque vous téléchargez de la musique sur les plateformes concernées. Reste aux entreprises à exploiter ces outils et à surveiller que les règles basiques de sécurité informatique soient respectées par leurs salariés lorsqu’ils sont en home office. Parce que le maillon faible en la matière c’est l’homme, pas la technologie.
Cad Magazine : Restons dans le domaine de l’ingénierie. Peut-on tout faire en télétravail à travers un service cloud ?
Modélisation 3D, gestion de projet d’ingénierie, collaboration peuvent se pratiquer en télétravail à travers le cloud depuis longtemps. Le suivi à distance des assets industriels est plus récent. Quelques fonctions évoluées manquent encore à l’appel, mais la stratégie est clairement de porter dans le cloud tous nos outils d’ingénierie d’ici 3 à 5 ans. Il faut cependant porter attention aux capacités des réseaux d’échange qui peuvent être un sérieux goulet d’étranglement. L’un de nos clients ingénieriste sur le marché nucléaire, par exemple, a mis en télétravail ses 250 utilisateurs de nos outils PLM, collaborateurs répartis jusque-là sur trois sites de bureau. Pour certains salariés résidants dans des zones blanches ou grises, l’entreprise a dû déployer des abonnements 4G, pour assurer une continuité des travaux d’ingénierie.
Cad-Magazine : Quelle est la vision du télétravail pour Siemens ?
Le télétravail va devenir une norme. D’ailleurs, chez Siemens c’est une réalité de longue date. Et, la stratégie du groupe est de passer 60 % des effectifs mondiaux en télétravail 2 à 3 jours par semaine en moyenne. Nous ne sommes pas les seules. Même pour les postes de surveillance des usines, nos solutions permettent de maintenir des assets à distance, ou de fournir des prestations de services aux clients manufacturiers.
La crise sanitaire a finalement accéléré une tendance qui émergeait auparavant. Les entreprises travaillent aujourd’hui à définir et formaliser des procédures pour assurer la continuité de service en cas de nouvel crise, en mixant le présentiel et le home office, ceci pour chaque tâche inhérente la conception et au développement de produits. Beaucoup de discussions sont engagées avec les entreprises de défense par exemple sur les mesures à mettre en oeuvre. L’objectif est de concilier la flexibilité, la robustesse et la résilience en intégrant le télétravail comme un lieu de production à part entière.