Pour ouvrir notre journée consacrée au cloud computing, nous avons posé quelques questions à Christian Saint Etienne, Professeur titulaire de chaire au Conservatoire National des Arts et Métiers et l’un des auteurs d’un rapport récent intitulé : « Favoriser l’adoption du cloud en France».
Le cloud computing est-il une des technologies qui favorisera la relocalisation française de l’industrie manufacturière ?
C. Saint Etienne : C’est un des éléments de réindustrialisation de la France. Mais l’industrie, tout comme l’informatique – qui supporte le cloud – présente une connotation négative. Ce qui ne va pas favoriser le développement du premier grâce au déploiement du second… Les autorités françaises n’ont pas compris que nous étions dans la troisième révolution industrielle ! ; après la technologie de la vapeur, puis celle de l’électricité, et enfin cette révolution informatique qui infuse la réindustrialisation des pays développés. Dans ce contexte, l’industrie manufacturière française est à moins de 10 % du PIB contre 20 % en Allemagne et 15 % en Italie. Nos économies sont tournées vers les services à 80 %. Mais les exportations mondiales hors énergies et matières premières sont à plus de 80 % constituées de biens manufacturés. Si vous ne fabriquez pas de biens manufacturés, vous n’avez pas d’exportation. C’est le cas de la France qui est le seul grand pays de la zone euros avec un énorme déficit extérieur. Ce qui l’affaiblit terriblement. Si l’on souhaite réindustrialiser, il faut aller vers une économie à base d’informatique, dans laquelle on robotise, numérise, électrifie tout le système économique. Le cloud dans ce contexte peut nous aider à rattraper notre retard car cela accélèrera le traitement des données, qui est au cœur de l’industrie moderne.
La France est-elle en retard en matière de cloud par rapport aux voisins européens ?
C. Saint Etienne : Oui, sans qu’il s’agisse d’un retard mortel. D’ailleurs les entreprises qui ont sauté le pas du cloud utilisent davantage de fonctions et les outils les plus avancés que leurs concurrents européens dans le même cas. Cela est aussi dû au tissu industriel français qui comporte moins de grosses PME et d’ETI que l’Italie et l’Allemagne, par exemple, or ce sont elles qui sont les plus rapides à se « cloudifier ».
Quelles sont les mesures à prendre pour progresser ?
C. Saint Etienne : L’Europe a loupé la révolution des datas : Amazon, Microsoft et Google tiennent 80 % du marché mondial du cloud qui se développe de manière exponentielle. Le cloud est particulièrement intéressant pour les entreprises qui sont en développement et qui innovent pour cela. Par ailleurs, il ne peut y avoir une politique de promotion du cloud indépendante d’une politique de réindustrialisation. Car ce sont les entreprises qui vont investir massivement dans le cadre de cette réindustrialisation qui vont utiliser au passage le cloud pour se développer… Le gouvernement doit prendre en compte la réalité du marché, mais aussi le niveau élevé de nos entreprises de service numérique pour favoriser leurs alliances avec les ténors d’outre Atlantique. En imposant dans ces alliances : le stockage intégral des données en France, et des systèmes de chiffrement permettant de les soustraire à toute autorité judiciaire extra-française, afin de garantir un niveau de confidentialité capable de rassurer nos industriels.
Un éventuel pays à copier ?
C. Saint Etienne : L’Allemagne est en train de mettre en œuvre ce que je propose. La Corée du Sud également, elle a en plus la chance d’avoir des industriels comme Samsung et une stratégie industrielle forte. Mais il ne faut pas négliger nos compétences en services numériques, avec des sociétés comme Capgemini, Thales ou Atos qui permettraient de développer une industrie nationale du cloud combinée aux capacités françaises de haut niveau en matière de chiffrement, technologie que l’on pourrait vendre en Europe .