Thème principal de ce numéro de Cad Magazine, l'usine du futur est pour les uns la dernière chance de l'industrie française, mais pour d'autres un aliment supplémentaire nourrissant la peur diffuse qu'ils éprouvent vis-à-vis de la technologie et de sa mère nourricière la science. Pour eux, cette Industrie 4.0 est synonyme d'usines sans homme, avec toutes les conséquences dramatiques économiques et sociales qui en découlent. Difficile de leur donner totalement tort. Depuis une quarantaine d'années, les emplois industriels n'ont cessé de diminuer alors que la production de biens explosait et que la technologie, elle, se diffusait dans toute l'entreprise. Et ce n'est pas la lecture du livre "La fin du travail" écrit il y a plus de quinze ans par l'économiste américain Jérémy Rifkin qui pourra les rassurer.
Contrairement à l'avis de beaucoup de technophiles que je côtoie, cette peur de la technologie n'est pas irraisonnée. Elle est d'abord aussi vieille que la science et ne relève pas de l'imagination ou de l'ignorance. En tout cas pas systématiquement. Les exemples de dérapages totalement incontrôlés de la science sont là pour nous le rappeler, depuis la crise de la vache folle, jusqu'à l'accident de Fukushima en passant par le sang contaminé, le scandale de l’amiante et les multiples crises touchant l'industrie pharmaceutique. Côté numérique, la généralisation du web et des écrans dans notre quotidien n'est pas non plus sans répercussions néfastes en terme d'hyper-sollicitation permanente, de menaces sur la vie privée et d'addiction gommant les relations humaines indispensables au fameux "vivre ensemble".
Et puis, cette résistance aux changements est plutôt naturelle. Elle constitue d'ailleurs un garde-fou indispensable. Car, même s'il s'agit d'enfoncer une porte ouverte, changer n'est pas synonyme de progresser. Tout changement, et donc toute avancée technologique, est intrinsèquement lié à une prise de risque qu'il s'agit d'évaluer. L'engouement presque infantile que nous avons pour les smartphones, tablettes tactiles, et autres objets connectés prouve que ce risque, aussi faible soit-il, est accepté par la très grande majorité à partir d'un moment où il est compris.
Pour que la technologie ne soit pas vécue par une partie de la population comme une menace, il est donc nécessaire que ceux qui la développent et la soutiennent face preuve de pédagogie. Si l'on souhaite défendre les OGM, les nanotechnologies, la robotisation ou encore le gaz de schiste, il est indispensable de considérer les opinions adverses, et non de les mépriser. Et surtout expliquer, détailler, prouver par les faits. Démonter que la technologie est avant tout un outil. Qu'elle s'exonère donc de la morale. Seul son usage lui confère un sens pouvant servir l'humain ou le desservir. Enfin, que la liberté supplémentaire qu'elle propose ne signifie pas l'absence de contrainte. Et qu'il faut plus ou moins de temps selon les êtres, pour faire cet apprentissage.
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