Que penser du Cloud computing ? Révolution technologique ? Relance marketing pour réchauffer un marché déprimé par la chute des ventes de PC ? Solution simplement alternative à l'informatique intégrée des entreprises ? Sans doute un peu des trois. Le plus simple est sans doute de poser la question aux utilisateurs. Et là, les choses se compliquent…
Éditeurs : le Cloud computing au frein moteur
Si l'on questionne les éditeurs de CAO, de PLM, de logiciels de simulation numérique la plupart montre un "intérêt marqué" pour cette technologie. Mais dans les faits, à part de rares exceptions, ils traînent salement des pieds. Revoir leur business model, substituer le paiement à la demande au revenu récurrent de licences annuelles, optimiser leurs codes pour bénéficier à plein d'architectures de calcul parallèles, etc. ne les enthousiasment guère. Et puis, le Cloud Computing comme un service payé à l'utilisation, replace le client comme maître du jeu !
Malgré cela, des offres avec une facturation à l'usage de ce service (SaaS) voient le jour. Autodesk a décliné en mode SaaS sous l’appellation "360" des outils de PLM, de simulation numérique, de rendu réaliste, de rétro-ingénierie, et même de CAO avec son outil Fusion. Ceci pour la mécanique, mais également pour le secteur de l'AEC. Le Cloud constitue donc pour l'éditeur une orientation stratégique majeure.
PTC s'appuie lui, en France, sur PI3C (voir encadré). Quant à Dassault Systèmes, son offre V6 est taillée pour cette technologie et plusieurs solutions ont été spécifiquement packagées (voir l'interview de Pierre Marchadier p. XX). SolidWorks de son côté a annoncé pour novembre 2013 "Mechanical Conceptual", un logiciel dans le Cloud pour concevoir et expérimenter les mécanismes de machines spéciales. En revanche, Siemens PLM Software annonce ne pas être prêt, en France en tout cas, et ne communique pas sur le sujet.
Dans le domaine de la simulation, c'est l'offre Extreme Factory (voir Zoom p.YY) qui illustre le mieux la stratégie Cloud des leaders du secteur. C'est sans doute sur ce type de solution d'analyse que le Cloud computing prend d'ailleurs toute sa valeur. On bénéficie en effet d'architecture de calcul parallèle et de codes en théorie optimisés pour celle-ci, d'où un gain important sur les temps de calcul. On accède en outre à des installations de haut niveau et aux services associés que la majorité des entreprises ne peuvent se payer. Et puis, la majorité des applications métiers de calcul numérique sont disponibles sous cette offre Cloud. Commercialisée depuis presque trois ans, elle peine cependant à trouver son élan.
A côté de ces leaders, d'autres acteurs se sont aussi tournés vers le Cloud computing. Lascom, par exemple, annonce trois services en mode Cloud SaaS pour l'AEC, le CPG et le PLM. Seul le premier service est pour l'instant véritablement exploité par une quinzaine de clients dont deux l'utilisent pour gérer environ une quinzaine de projets simultanés. Lascom PLM n'affiche, lui, qu'un ou deux clients à son compteur.
Dans le secteur AEC, il existe de nombreuses offres Cloud qui constituent plus des armoires à plans numériques que de véritables solutions de calcul. Certaines offrent cependant des outils complémentaires. On citera par exemple Aproplan, qui permet de centraliser et d'organiser des documents dans un espace Web sécurisé, de gérer des intervenants, conduire des réunions de chantier, comparer des documents, saisir des informations sur les plans depuis le chantier, via une application tablette, ou encore d'attribuer et de suivre des tâches liées aux réserves et remarques. Cette solution intégrée est proposée sous forme d'abonnements : 25 euros par mois pour 10 projets maximum, le transfert de 1Go de données par mois et stockage jusqu'à 10 Go de données, par exemple.
Côté clients : y'a pas foule
Logique, puisque les offres sont peu nombreuses et récentes. Les résistances et craintes sont aussi très fortes et régulièrement citées lors des interviews : sécurité, confidentialité, garantie de service, mode de tarification opaque, etc. On peut aussi avancer que les grands groupes notamment qui utilisent ce type de service n'ont pas envie que cela se sache. Avantage concurrentiel jalousement tenu secret ou peur du piratage… la question reste en suspens. Citons enfin les réticences des DSI des entreprises à passer au Cloud computing. Dans la majorité des cas, les utilisateurs des logiciels n'ont pas le pouvoir, ce sont les DSI qui l'ont, et elles ne souhaitent pas le perdre… Comme l'explique Olivier Jean, Directeur Général de Serviware : "Depuis le passage des stations de travail sous Windows, les directions des bureaux d'études ont perdu la main sur les budgets informatiques au profit de leur DSI. Il y a parfois un conflit interne. Pour palier une insuffisance de ressources internes, les directions techniques rognent sur les budgets de sous-traitance d'étude pour acheter du Cloud computing..."
Une enquête du site infoDSI réalisée en septembre 2012 auprès d’un échantillon de 800 dirigeants de TPE et de PME, représentatif des entreprises de 0 à 249 salariés montre que seulement 5% des TPE/PME utilisent le Cloud (15% des PME de 50 à 90 salariés). Et ceci quelles que soient les applications, le plus souvent de la messagerie et des applications de gestion d'entreprise. Autre enseignement de cette étude, 14% de ces entreprises connaissent bien le Cloud mais ne l'utilisent pas, mais 65% d'entre elles pensent que cette technologie va se généraliser… Pour le cabinet Markess "au cours des deux années à venir, de nouvelles PME devraient s'intéresser au Cloud. Elles devraient être une sur trois d'ici 2014." Bref, il y a du potentiel, mais ce n'est pas le raz de marée.
Le cloud, les PME et l'AEC
Plus réactives, les PME sont les premières à avoir testé les offres Cloud. Mais de plus en plus d'ETI s'inscrivent dans la démarche et la pérennisent comme organisation de leur système informatique. Axon Câble, par exemple, exploite la plateforme PI3C depuis plus de 10 ans ! Joseph Puzo Pdg de l'entreprise qui compte 800 salariés en France et autant à l'étranger : " Nous l'avons employée dès le début avec des filiales et des clients aux USA, en Chine, ou en Angleterre. La solution est très pratique pour gérer de gros projets avec justement des participants éparpillés géographiquement. Ils peuvent accéder de leur lieu de travail à la plateforme, quelle que soit l'heure. Il n'y a pas de gros investissement au départ. Le paiement s'effectue au mois, en fonction du nombre d'accès, donc nous maîtrisons parfaitement les coûts. Et puis c'est un outil utilisable immédiatement".
C'est dans le secteur de l'AEC que le Cloud trouve sans doute le meilleur accueil. Brunet Saulnier, par exemple,utilise les services Autodesk 360 rendering directement accessibles dans l'interface de Revit, l'outil de modélisation généralisé à l'agence d'architecture. "Une image contextualisée d'un bâtiment nous permet de valider les volumes, les matériaux, la lumière. Et éventuellement de corriger le tir le plus tôt possible afin de minimiser les coûts de reprise. Presque quotidiennement, nous envoyons à travers le web entre 10 et 20 vues 2D ou 3D sur Autodesk 360 Rendering pour obtenir quelques dizaines de minutes plus tard les images réalistes. C'est un gain de temps véritable pour nous, vis-à-vis d'une solution semblable intégrée sur nos postes de travail. Le traitement des images est automatique, très facilement paramétré et ne mobilise aucune station de travail chez nous. Seule limite pour l'instant, l'impossibilité d'obtenir des images de plus haute définition, et de travailler avec des coupes par exemple" détaille Jacques Levy-Becheton Bim Manager du cabinet d'architectes. Ce dernier s'intéresse au Cloud Computing pour le partage de maquettes numérique sur des projets faisant intervenir de nombreux partenaires dispersés géographiquement. "Jusqu'à maintenant nous utilisions un VPN et la solution Riverbed, mais nous pourrions basculer vers Revit Server pour partager des maquettes complètes. Notre prochain projet l'Hopital de Zurich devrait s'appuyer sur cette solution."
Architectes Ingénieurs Associés (AIA) est une agence de 530 salariés regroupés dans quatre agences principales à Nantes, Paris , Lyon et Pékin et quatre agences spécialisées à Angers, Rennes, Lorient et Bordeaux. Pour plusieurs projets d'envergure, le cabinet a utilisé les solutions DOC6 et OPR6 développées par la société Wapp6. Ces outils fonctionnent en mode Cloud sur tablette tactile. Le premier est une plateforme d'archivage et d'échange de documents. Le second est destiné à la saisie et à la gestion des réserves de chantier. Patrick Hardy, Directeur des travaux : "Doc6 permet de centraliser les données, d'y accéder de partout, et de bénéficier d'une traçabilité des opérations, de savoir si les plans ont été visés dans les délais, de générer un rappel automatique en cas contraire, etc. Nous utilisons 4 iPad munis de coque renforcée. Opr6 est particulièrement adapté à la levée de réserve sur des chantiers complexes comme les hôpitaux, où il est possible d'avoir près de 30 000 réserves et beaucoup d'équipements à contrôler. Parfois, pour tenir les délais de réception, nous sommes 3 ou 4 personnes à faire la levée en même temps." Auparavant, l'entreprise utilisait un dictaphone, un listing papier des pièces et une personne était chargée de la retranscription des réserves sur les plans. "Le temps gagné sur la totalité de l'opération est considérable, il y a moins d'erreur, et nous n'avons plus de tâche de ressaisie qui pouvait s'étaler sur trois mois dans le cas d'un gros projet" conclut Patrick Hardy.
Conclusion
Le Cloud SaaS a sans doute l'avenir devant lui. Les cas clients ne sont pas légion, mais les témoignages sont unanimes sur l'intérêt de cette technologie pour leur cœur de métier. Comme le souligne Olivier Jean, Directeur Général de Serviware : "les aspects techniques liés à la sécurité sont aujourd’hui maîtrisés. D'ailleurs, le client peut amener "ses propres outils de sécurité" sur la machine virtuelle hébergée chez nous. Pour que le Cloud Computing se développe, il faut vaincre la résistance au changement des DSI, et offrir aux clients un environnement le plus simple possible, avec des templates de calcul par famille de métiers pour les non-spécialistes."
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