Comment et à quel prix harmoniser les systèmes PLM ? C'est la question centrale que posait le cabinet de conseil Vinci Consulting à Astrium, Airbus, DCNS, Thales et Valeo, lors d'un colloque organisé en partenariat avec Cad Magazine. Résumé de ce « Think Tank PLM ».
L'harmonisation n'est plus un choix
Il n'existe pas Un PLM, mais une multitude de systèmes PLM dans les grandes entreprises qui se sont équipées depuis une dizaine d'années. Lors de sa présentation, Denis Barbier, directeur Méthodes & Outils R&D de Valeo, en comptait pas moins« d'une dizaine pour le département mécanique, un autre pour l'électrotechnique et un nombre indéterminé pour le département logiciel… ». Et dans le groupe Thales, 12 000 salariés travaillent sur 40 outils différents de GDT ! En fonction des filières, des entités, des croissance externes et même des processus industriels concernés, les entreprises ont en effet agrégé des outils et des processus variés.
Reste, que le PLM touche de plus en plus de métiers de l'entreprise étendue. L'interconnexion de ces différentes solutions devient presque impossible. Une harmonisation s'impose si l'on vise l'efficacité opérationnelle. Évidemment, mettre en place une démarche PLM est déjà une tâche délicate à mener. Alors, harmoniser plusieurs systèmes disparates, pour lesquels des chefs de projets ont déjà sué sang et eaux pour les imposer, n'est pas une mince affaire… Mais, comme le signalait dans son introduction Michel Maurino, le dirigeant de l'équipe Vinci Consulting, " l'environnement dans lequel évoluent désormais les industriels ne leur laisse guère le choix. Les grands groupes internationaux doivent revoir leur organisation s'ils souhaitent rester compétitifs. Et puis, le PLM est un moyen d'acquérir la souplesse indispensable pour s'adapter aux bouleversements permanents du monde qui les entoure."
Le poids de l'histoire et des habitudes
Astrium Satellite, la division spatiale d'EADS utilisait cinq instances PDM répondant aux différents métiers de l'entreprise. Conséquences : de nombreuses ressaisies, pas de bonne collaboration, ni d'anticipation des problèmes. L'entreprise a donc lancé un programme d'harmonisation vers un PDM unique, accompagné d'une maquette numérique commune aux différentes entités et liées à Catia et au futur PDM d'entreprise. Le projet est étalé sur trois ans et bénéficie d'un budget de 30 millions d'euros. Les bénéfices attendus sont de 10 millions d'économie par an : diminution de la non-qualité, amélioration opérationnelle, disponibilité d'une structure favorisant la conception collaborative, amélioration du support client, etc.
Comme l'expliquait Lothar Weberring d'Astrium Satellite : "Le projet est en phase de finalisation. Deux leçons doivent être retenues notamment vis-à-vis de la conduite du changement. Finalement, chaque entité a trouvé une motivation propre, comme l'intégration à la supply chain externe pour les uns, le passage en maquette numérique pour le BE… lui permettant de s'approprier cette démarche d'harmonisation. Par ailleurs, il est inutile d'espérer faire travailler tout le monde de la même façon. L'important est d'utiliser le même langage et les mêmes bases".
Pour Airbus, l'harmonisation des PLM est une tâche pharaonique. D'une part l'entreprise s'est construire sur le rapprochement de multiple entités (Aérospatiale Matra, Dasa, BAE, Casa, etc.) qui disposaient chacune de ses propres standards et solutions de PDM. D'autre part, un avion est un produit éminemment complexe : la maquette numérique d'un A380 regroupe 2 millions d'instances. Et puis, 80% de l'avion est réalisé par des équipementiers extérieurs sur une multitude de sites. Rajoutons la responsabilité différenciée d'Airbus vis-à-vis de ces éléments selon leur provenance interne ou externe, et la durée de vie d'un programme : 60 ans entre les premiers développements et le retrait du ciel de la dernière évolution de l'appareil, pour comprendre la difficulté de la tâche.
Échaudé par les difficultés rencontrées sur l'A380, difficultés directement liées à l'hétérogénéité des systèmes PDM des différents partenaires, le consortium a décidé l'unification des outils PDM pour le programme A350.
C'est en l’occurrence WindChill PDM Link de PTC qui a été choisi pour faire le lien avec les données de la maquette numérique Delmia et Enovia VPM, et les outils de création de données Catia et IGE+XAO notamment. Sur l'A350, les dessinateurs ont tous travaillé sur la même base de données Airbus. Les équipementiers étaient eux autonomes en termes de process et d'outils, mais devaient se connecter au VPM pour avoir accès à l'environnement de développement de leur propre lot. Airbus comptait 3000 connexions par semaine au PDM et 1800 pour le VPM pendant la même période…
Savoir faire des sacrifices
Constructeur de navires militaires, DCNS est confronté à une forte évolution de son activité grâce, entre autres, à ses succès internationnaux. L'entreprise compte10 sites en France, des filiales à l'étranger et une longue histoire en matière de numérique avec l'accumulation progressive d'outils de DAO, CAO, PDM, etc. Donc, des systèmes disparates, dispersés et obsolètes par rapport à la durée de vie des produits.
C'est dès 2004 que l'entreprise lance un vaste programme d'unification de ses solutions de PDM. Ce projet Etrave a depuis concerné la réalisation d'une vingtaine de navires (Frégates et sous-marins). Cette année, c'est la suite d'Etrave qui est mise en œuvre pour couvrir les phases SLI et MCO (Soutien Logistique Intégré et Maintien en Conditions Opérationnelles), historiquement les moins informatisées.
"Parce que le cycle de développement des produits est long, il nous est difficile de quantifier les gains dus au PLM, explique Yves Le Peutrec. Mais on peut retenir quatre idées fortes : Anticiper en cohérence avec la stratégie d'entreprises (produit, marchés…) Décloisonner pour un véritable travail collaboratif, Ouvrir l'entreprise sur l'extérieur et enfin Créer de la valeur ajoutée pour le groupe."
Pour Thales, l'harmonisation des PLM constitue un réel défi. Quelques 12 000 collaborateurs utilisent 40 logiciels différents de PDM ! En 2010 est lancé le projet "Vision 2015" qui vise l'harmonisation de ces outils. L'objectif est une amélioration globale des performances de 10% en travaillant notamment sur les aspects non-qualité, coût de possession des logiciels, coût de revue de projet, etc. Olivier rives : "Beaucoup ont développé une forte compétence/performance sur ces solutions présentes depuis de nombreuses années dans certains départements. La première difficulté a été de leur faire admettre que dans le cadre de cette harmonisation, ils devront faire des deuils vis-à-vis de ces savoir-faire."
Travailler par étapes
Dans le domaine automobile, c'est l'arrivée de la mécatronique et la multiplication des logiciels embarqués qui poussent en 2007 Valéo à l'harmonisation de la douzaine de solutions PLM employées dans ses différents départements. Entre 2008 et 2010, l’équipementier automobile fait converger ses outils dans le domaine mécanique. Aujourd’hui, le déploiement est réel : près de 8 000 salariés sur 120 sites ont adopté la même solution et environ 2,2 millions de fichiers sont échangés sur la plateforme mise en place. Mais subsiste des difficultés techniques d'utilisation. Seule la moitié des dossiers techniques est traitée dans le logiciel, l'ergonomie et la performance ne sont pas optimales, et des fonctionnalités manquent comme la gestion des variantes, des configurations, des évolutions notamment dans le domaine électronique.
C'est pourquoi Valeo s'est inscrit dans le projet O2M avant de se lancer dans l'étape suivante qui est la mise en place d'une plateforme commune gérant les données mécaniques mais aussi électroniques et logicielles. O2M réunit 32 partenaires, à la fois utilisateurs et fournisseurs pour définir et élaborer une plateforme de conception et de simulation de la mécatronique. Valeo a établi une roadmap qui prévoit l'implémentation progressive des fonctions de PLM Mécatronique entre 2012 et 2015.
A chacun d'y trouver son compte
La table ronde qui a réunit les participants a particulièrement abordé le thème de la conduite du changement. Si Airbus est le seul a avoir convié ses partenaires extérieurs à l'élaboration de son programme d'unification PDM, tous s'accordaient à dire l'importance de l'accompagnement humain. "S'il parait évidant que les chefs projets soient convaincus de l'intérêt de la démarche pour sa réussite, la clé du succès réside dans le middle management. Pour convaincre les "ends users", les encadrants doivent en effet découvrir pour eux-même l'intérêt de l'unification PDM. Exemple, un contrôle plus simple et plus précis de l'avancement des projets de l'entreprise"souligne lothar Webering d'Astrium. Et puis, il s'agit de favoriser la même appropriation par les services de l'entreprise étendue."
Pour DCNS, il est nécessaire également d'adapter la démarche et le discours selon les populations visées et de prêter attention aux bouleversements engagés. "Pour les dessinateurs engagés sur les programmes sous-marins, il y avait un véritable changement de culture qu'il fallait accompagner en douceur. Et finalement, c'est la population des préparateurs qui s'est montrée la plus malléables, car elle n'était pas entravée par un lourd historique en matière d'outils et de procédures numériques" expliquait Yves Le Peutrec.
Et puis comme le soulignait Olivier Rives de Thales "attention au choix des personnes porteurs du projets. Elles doivent être reconnues légitimes par la majorité pour être efficaces dans leur tâche d'évangélisation. Dans notre cas, les managers ont déjà tous pratiqué le PLM dans leur cursus professionnel. Ils restent donc ouverts et conscients des difficultés."
Second thème abordé, le choix du logiciel et son importance dans la réussite de la démarche d'harmonisation. Olivier rives de Thales résumait une opinion partagée par les différentes représentants industriels : "L"outil n'est pas le procédé, c'est certain. Mais il est difficile d'imposer une méthode sans outil adéquat. Car il permet bien souvent aux utilisateurs de comprendre la démarche à travers sa pratique quotidienne, et donc de s'en imprégner. Cela signifie qu'il faut se préoccuper de l'aspect ergonomique des logiciels PDM mis à la disposition des salariés. C'est eux qui portent les process établis par le management." D'ailleurs, tous affirmaient ne plus acheter de formation aux éditeurs de logiciels…
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