L’électrification lente mais inexorable des voitures est l’un des défis majeurs pour les constructeurs dans les dix ans à venir. Le système d’entrainement du véhicule et plus encore sa batterie concentrent d’ailleurs les principaux efforts de la filière, parallèlement à ceux mis en œuvre pour automatiser la conduite. L’ingénierie numérique y tient une part de plus en plus importante…
Selon un sondage de mars 2020 réalisé par Ansys et Atomik Research sur un large échantillon d’adultes, 59 % des français comptent s’équiper d’un véhicule électrique (VE) dans les dix ans à venir. La tendance est similaire dans la majorité des pays industrialisés. La raison principale est bien évidemment écologique. Le moteur thermique de nos voitures ayant été décrété persona non grata dans nos rues.
MARCHÉ DE NICHE EN CROISSANCE PERPÉTUELLE
Reste que comme pour les produits bios, il y a loin de l’intention d’achat à l’acte réel. Le coût d’acquisition et le manque d’infrastructure de recharge en refroidissent plus d’un. Le marché actuel des VE est donc très faible par rapport aux véhicules classiques. On produit 765 000 VE par an, contre environ 100 millions de voitures thermiques sur la planète. En France, ils représentent moins de 4 % du marché. Mais, cette proportion ne cesse de croître. Les immatriculations de VE en 2019 sur l’hexagone affichent, par exemple, +80 % par rapport à 2018.
Et chaque année sur le globe, le nombre de VE s’accroît de 30 à 50 % en moyenne. C’est la Chine qui est le premier client, suivie de l’Europe, puis des USA. Notons un très fort taux de pénétration en Norvège, où 37 % des voitures vendues en 2018 étaient électriques, contre seulement 1,7 % dans l’Hexagone ! « Le marché est donc très fragmenté, mais nos projections sont optimistes. D’ici 15 ans, nous prévoyons entre 20 et 40 % du parc automobile en VE, ce qui signifie entre 7 et 15 millions de véhicules » explique Didier Deruy, Alliance Advance engineering Project Leader – Electric Vehicle chez Renault.
VE : 10 % DES VENTES RENAULT D’ICI 2022
Une ambition qui doit franchir plusieurs étapes techniques, économiques, structurelles et même psychologiques, car au final, ce sont les clients qui doivent être convaincus de l’intérêt des produits… Certaines sont déjà bien entamées. L’autonomie de la dernière génération de Zoé atteint près de 400 km par exemple. Côté infrastructure de recharge, 2 000 bornes sont implantées sur tout le territoire. Certaines permettent d’obtenir en une quinzaine de minutes, 150 km d’autonomie supplémentaire.
Enfin, la fiabilité, la sécurité, la performance et même le plaisir de conduite d’un VE ne font plus question. Didier Deruy : « Il nous reste bien sûr beaucoup de travail. Diminuer le coût, les temps de recharge, accroître l’autonomie, faciliter le recyclage des batteries, etc. Notre objectif proche est d’ici 2022 d’atteindre 10 % des ventes Renault en VE. Pour cela, il nous faudra notamment proposer davantage de modèles électriques, donc créer des plateformes spécifiques et non l’adaptation de modèles thermiques en VE. Nous devons aussi revoir le business model global en utilisant par exemple les VE stationnés comme systèmes de stockage d’énergie disponibles, favoriser l’autopartage, donner une seconde vie aux batteries usagées, apporter davantage de services connectés aux clients, etc. »
LA SIMULATION À DE MULTIPLE NIVEAUX
Evidemment, ces enjeux impactent le cycle en V traditionnel de développement. La simulation doit être employée sur des domaines spécifiques pour évaluer la capacité des réseaux électriques, les compatibilités CEM, les singularités magnétiques des moteurs, les vibrations, et tout ce qui touche aux batteries : phénomènes électrochimiques, thermiques, durabilité, et résistance au crash.
« De nouveaux challenges émergent. Celui par exemple de récupérer les données des VE en exploitation pour évaluer plus précisément la durabilité des voitures. Nous devons enfin progresser sur la modélisation des effets d’échelle et notamment sur l’impact du déploiement de nouveaux algorithmes sur des millions de véhicules. Le rêve de nos ingénieurs : utiliser une plateforme logicielle unique capable de déterminer les conséquences techniques sur notre projet à partir des données matériaux » conclut Didier Deruy.
DÉVELOPPER DES BATTERIES PERFORMANTES ET SÛRES
L’un des éléments clés d’une voiture électrique est logiquement la batterie. Elle représente entre 30 et 40 % du coût total de la voiture et concentre donc beaucoup d’efforts de la part de ingénieurs. Ses particularités ? Une durée de vie d’environ 8 ans et 250 000 km. Au-delà, elle doit conserver 80 % de ses performances initiales. Outre la performance, la sécurité de fonctionnement est le cœur du sujet : défaut de fonctionnement, résistance aux chocs, emballement thermique, dégagement gazeux… En cas de problème technique, les occupants doivent recevoir un signal leur laissant au moins 5 mn pour sortir du véhicule en toute sécurité (norme GTR 20 bientôt en Chine et en Europe).
Evidemment, il s’agit aussi de répondre à un volume disponible dans la voiture et une stratégie du constructeur vis-à-vis du compromis performance/coût. Cédric Rouaud, expert technique système thermique chez Ricardo PLC, entreprise anglaise qui développe et assiste les fabricants de composants de batterie et les constructeurs automobile dans l’électrification des VE : « la modélisation numérique a permis en quelques années de diminuer de 40 % le temps de développement des batteries pour VE. Les essais physiques sont toujours présents notamment pour tester l’endurance des produits, mais les essais fonctionnels ont diminué de l’ordre de 20 %. L’objectif d’ici 2030 est de diviser par deux le coût global d’un projet en progressant sur les essais virtuels de durabilité, sur l’usage de modèles plus fiables, et en intégrant des techniques d’intelligence artificielle. »
LES OUTILS D’ANALYSE POUR CONCEVOIR LA BATTERIE ?
Pratiquement, c’est toute la panoplie des logiciels d’analyse numérique qui est mise à contribution pour développer ces fameuses batteries. Explications…
• La simulation 0D pour évaluer la faisabilité, dimensionner les éléments unitaires au plus juste en tenant compte de l’architecture du véhicule, des performances électriques, des temps de recharge et du type de recharge envisagé… L’ingénierie système permet également de balayer une base de données de cellules existantes et de faire des choix de dimensionnement plus rapidement.
• La simulation 1D pour analyser notamment les pertes thermiques des cellules et de leurs connexions, comprendre ce que l’on doit refroidir et dans quelle mesure.
• La CFD pour comprendre les effets de conduction et de convection lors de l’échauffement de la batterie et, là aussi, optimiser la stratégie de refroidissement.
• Le calcul par éléments finis 3D pour modéliser l’enflammement de la batterie. Comme l’explique Cédric Rouaud : « c’est sans doute l’analyse numérique la plus complexe et la plus gourmande en termes de ressources de calcul, notamment parce qu’elle fait appel à du maillage adaptatif. Il faut parfois des semaines à un cluster de machines pour délivrer une séquence de quelques dizaines de secondes montrant la propagation et les conséquences mécaniques d’un emballement thermique : modélisation de la propagation des gaz, transferts de chaleur et modélisation du feu de la cellule aux autres cellules et au reste du module puis au pack. On cherche à savoir comment circulent les gaz libérés et comment la chaleur qui peut atteindre les 1000° C se propage d’une cellule à l’autre, et quelles sont les dommages provoqués sur l’ensemble du pack. La modélisation du feu n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts ». Ces analyses permettent de développer les matériaux, les solutions de refroidissement comme l’immersion des cellules qui stoppe l’emballement thermique, mais également le design des modules et du pack batterie pour limiter le risque d’emballement thermique et la propagation de chaleur.
Si la batterie est l’élément clé de l’électrification de nos véhicules, les industriels travaillent également activement pour optimiser le groupe motopropulseur (GMP) des VE. La motorisation et toute la chaîne de transmission de puissance est en effet différente de celle d’une voiture à moteur thermique. Le moteur est en prise directe sur la transmission, il n’y a pas d’embrayage, et l’ensemble du GMP est beaucoup plus compact que sur un véhicule classique. Là aussi la simulation numérique joue un rôle prépondérant dans le développement de solutions innovantes et nous y consacrerons un dossier dans un prochain numéro.