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DessIA : futur leader du Generative Engineering ?

La start-up française DessIA Technologies propose des ‘‘Bots’’ liant 3D et Ingénierie Système pour automatiser certaines tâches de conception. Une approche qui reproduit la démarche de l’ingénieur, en traitant les problèmes les uns après les autres, mais en évaluant à chaque fois toutes les solutions possibles.

« Même si la CAO a fait d’énormes progrès dans le domaine de l’automatisation de certaines tâches de conception, avec notamment le ‘‘Generative Design’’, nous pouvons aller beaucoup plus loin dans l’automatisation en liant, grâce à l’Intelligence Artificielle, la conception 3D avec l’Ingénierie Système, décrivant l’architecture fonctionnelle d’un ensemble, afin d’arriver à un véritable ‘‘Generative Engineering’’ », explique Pierre-Emmanuel Dumouchel, CEO de DessIA Technologies, start-up française spécialisée dans les logiciels d’Intelligence Artificielle au service de l’ingénierie.

De fait, le Generative Design proposé par les grands éditeurs de CAO (Autodesk, Dassault Systèmes, PTC, Siemens DISW…) revient à faire de l’optimisation topologique de la géométrie 3D sous contraintes. C’est une première étape, qui donne déjà des résultats intéressants, mais elle reste très axée sur la 3D. C’est une automatisation de la conception ‘‘d’entrée de gamme’’. Mais grâce au développement des technologies d’IA, on peut aller beaucoup plus loin en traitant un projet, non plus uniquement suivant ses aspects géométriques, mais en incluant aussi tous les aspects fonctionnels et comportementaux.

« On s’aperçoit qu’il existe dans l’industrie une dichotomie entre le monde de la 3D, qui a ses propres outils (CAO, Simulation, PLM…) et le monde de l’Ingénierie Systèmes qui a d’autres outils pour gérer les spécifications et les aspects fonctionnels (IBM Doors, MatLab, Simulink…), avec des langages tels UML, SysML et une approche MBSE (Model Based System Engineering). Notre idée a été de développer un langage et des outils permettant de faire dialoguer plus efficacement ces deux mondes, grâce à un ‘‘MBSE Augmenté’’ qui inclut aussi la vision 3D. »

De la thèse aux ‘‘Bots’’

Pierre Emmanuel Dumouchel, CEO de DessIA. Doc : DessIA

Cette idée remonte à 2015 alors que Pierre Emmanuel Dumouchel, ingénieur chez PSA, supervisait la thèse de Steven Masfaraud avec l’ENS. « Cela nous a permis de mettre en place les fondements théoriques d’un tel langage, puis de nous lancer, tous les deux, dans la création de DessIA Technologies en 2018, afin de développer une offre logicielle. Nous sommes alors repartis d’une feuille blanche pour créer une plate-forme ‘‘Low Code’’ en langage de programmation Phyton, autour de cette façon de voir l’ingénierie. Nous avons mis cette plate-forme en Open Source et nous l’exploitons pour créer des assistants, des ‘‘Bots’’, permettant d’automatiser certains aspects de la conception. »

Pour en expliquer le fonctionnement prenons l’exemple de la conception d’une batterie de traction Lithium ion pour un véhicule électrique. Les contraintes de bases sont l’autonomie souhaitée, le type de cellules unitaires que l’on veut utiliser, la température maximale de fonctionnement, et l’encombrement alloué. « L’ingénieur va suivre trois grandes étapes. Il va définir l’architecture électrique (agencement, nombre de modules, nombre de cellules par module…) et générer tous les concepts électriques possibles. Ce qui représente déjà une combinatoire importante, de laquelle il ne conservera que les solutions viables, grâce à une logique d’arbre de décision utilisant du Machine Learning. La deuxième sera l’agencement en 3D et la troisième le refroidissement de l’ensemble avec, à chaque fois, la génération de tous les concepts possibles dont la combinatoire est exponentielle. L’utilisation de ‘‘Bots’’ permet la sélection rapide des seuls combinaisons viables grâce aux arbres de décision. Tout l’art réside dans l’écriture des règles de sélection. »

Boite noire ou optimisation séquentielle ?

Reste que c’est une approche très séquentielle, proche de la démarche de conception traditionnelle. Et c’est le grand dilemme entre les académiques et les ingénieurs quant aux outils intelligents d’aide à la décision : faut-il une boîte noire, qui donne ‘‘la’’ solution sans expliquer précisément toute la démarche de sélection qu’elle a effectuée, ou des outils qui aident pas à pas l’ingénieur dans sa démarche ?

« Les ingénieurs des entreprises avec lesquelles nous travaillons sont formels, ils veulent des outils d’assistance à la décision qui raisonnent comme eux et plus globalement comme leur entreprise. Car ce qui fait la valeur d’une entreprise, outre ses produits et ses salariés, c’est l’organisation et la qualité de ses processus d’ingénierie. Ceux-ci garantissent que les produits seront conformes aux attentes des clients et respecteront toutes les réglementations, car ce sont des processus robustes rodés depuis des années. L’ingénieur accepte de dédier des tâches à un automate, un Bot, à partir du moment où celui-ci va reproduire son raisonnement et les processus de l’entreprise. Il se sentira ainsi plus à l’aise pour expliquer le choix qui a été fait à ses responsables. Et c’est d’autant plus vrai que bien souvent ces optimums locaux font appel à des savoirs différents, donc des ingénieurs différents. »

Une approche qui est aux antipodes de celle des chercheurs universitaires, plus motivés par un outil faisant de l’optimisation globale sous de multiples contraintes, pour arriver directement à l’optimum global plutôt que d’aller d’optimums locaux en optimums locaux.

Mais une approche qui séduit les grands industriels tels Alstom, Renault ou Safran. « Nos bots y sont employés pour optimiser l’architecture de matériels ferroviaires, des câblages de véhicules électrique ou des pièces de réacteur, en tenant compte de multiples facteurs. En effet, il ne s’agit plus de trouver une solution qui marche, mais ‘‘la’’ solution qui marche et qui va être la plus sobre en énergie et en matières premières, la moins polluante, qui ne va pas demander de gros investissements productifs, etc., tout en étant économiquement viable. »

Sensibiliser les ingénieurs

« Nous sommes en train de monter des thèses avec différentes écoles pour poursuivre plus rapidement nos développements. On a déjà un lien très fort avec ISAE-Supméca à Paris, où l’on a un module en dernière année pour former les ingénieurs à notre langage et à la façon de structurer les bots, afin qu’ils comprennent les travaux que font les Data Scientists. »
La révolution de l’ingénierie qui s’engage va conduire à une recomposition du paysage des éditeurs dédié à ce secteur. Un marché dont lequel DessIA entend bien prendre une part importante : « Nous ambitionnons de devenir d’ici 5 ans, un leader de l’automatisation de l’ingénierie en Europe. »

Une ambition qui a séduit les investisseurs puisque DessIA a levé mi-2021 5,5 millions d’euros, dans un tour de table a été mené par Supernova, auquel ont participé l’allemand BTOV Partners, Go Capital et BpiFrance.

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