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IA : Vers l’ingénieur augmenté ?

Xavier Brucker et Denis Debaecker, Partners du cabinet de conseil Mews Partners qui accompagne l’industrie européenne face aux défis de l’innovation, de la compétitivité, de la réindustrialisation et de la transition énergétique, nous présentent leur vision de l’IA au service de l’ingénierie.

L’introduction de l’Intelligence Artificielle dans l’ingénierie n’est pas naturelle : les algorithmes typiques d’IA nécessitent en effet de gros volumes de données qui sont difficiles à acquérir dans le monde de la R&D et de l’ingénierie. Le terrain de la production et des opérations est de ce point de vue plus habituel, car on y observe plus facilement des données tangibles, répétables, avec la possibilité d’avoir un grand nombre de points d’observation, favorables au développement d’algorithmes de type Machine Learning faisant de la prédiction, de la gestion documentaire, de l’automatisation de processus ou de la gestion de la qualité, pour ne citer que quelques exemples.

Néanmoins, les techniques d’IA, de modélisation complexe et d’analyse de données sont de plus en plus présentes dans le travail de conception et d’ingénierie.

Intégrer l’IA dans le travail de l’ingénieur

Xavier Brucker, Partner chez Mews, y développe les offres liées à la Data Science et à l’Intelligence Artificielle, qui sont devenues un véritable enjeu stratégique pour l’industrie et les services.
Doc : Mews Partners

Dans les différentes phases du travail d’ingénierie, les algorithmes issus de l’IA sont utilisés au travers d’outils sophistiqués. On ne parle pas uniquement d’algorithmes issus du monde du Machine Learning utilisant typiquement un grand volume de données du passé pour faire des prédictions ou réagir devant un nouveau problème. On observe ainsi des méthodes algorithmiques particulièrement raffinées sur les dernières années comme l’optimisation non linéaire, le traitement de langage naturel (Natural Language Processing), les assistants virtuels, les algorithmes de segmentation ou de réduction de paramètres (capables de simplifier avec une bonne qualité des sujets trop complexes pour être simulés de manière pratique en conception), ou encore la théorie des graphes. Ces algorithmes sont maintenant utilisés de manière concrète dans la conception de produits complexes.

Les ingénieurs concevant ou testant des systèmes avec un très grand nombre de paramètres peuvent ainsi réduire la combinatoire à prendre en compte et créer des modèles allégés, souvent appelés Surrogate Models, capable de simuler de manière simplifiée et rapide, voire en temps réel, mais avec une bonne précision des systèmes complexes dont les simulations classiques emploient beaucoup de ressources informatiques sur des durées importantes.

Ces approches permettent la mise en place de jumeaux numériques mélangeant des simulations de différents domaines d’ingénieur (mécanique, hydrodynamique, acoustique, électromagnétique, etc.) pour appréhender l’impact en temps réel d’alternatives de conception.

Un des exemples récents et spectaculaires de cette approche a eu lieu en astrophysique avec une approche de simulation de l’évolution de l’univers, avec un très grand nombre de paramètres et de particules, en Deep Learning, qui garde une très bonne précision, tout en étant plusieurs ordres de grandeur plus rapide que des méthodes de calcul traditionnelles.

IA et processus de développement produit

Le processus de développement lui-même est un terrain de jeu intéressant pour les algorithmes d’IA pour, par exemple, vérifier la cohérence des données des produits enregistrées dans les bases de données PLM au cours du processus de conception, afin de détecter les anomalies de structuration de ces données. Le volume de données historiques est significatif (plusieurs années de données produit), et les écarts par rapport au processus de référence sont fastidieux à détecter et corriger : nommage ; gestion de la diversité et des configurations ; documents ou attributs obligatoires attendus ; liens manquants ; règles de conception by-passées, etc.

Le traitement intelligent des données permet ainsi en post-traitement de mettre en évidence les incohérences, ce qui est utile lors des évolutions des applicatifs (upgrades, migrations, extensions) ou lors de campagnes de nettoyage des données, afin d’éviter de lourdes reprises industrielles en aval.
Cette approche permet également l’analyse d’impact des modifications d’une partie d’un produit par rapport au reste du produit ou par rapport à l’homologation ou l’IVV (Intégration, Vérification, Validation) déjà obtenue pour le produit.

Sur la base de règles et de standards, des données d’IVV et des données de traçabilité des exigences (listes d’exigences et liens d’allocation vers l’arborescence produit), l’IA peut apporter la détection de problème ou d’incohérences, mais aussi, en recourant aux historiques de modifications qui se sont bien ou mal passées, détecter les modifications à risque, soit pour la cohérence du produit, soit pour le maintien de l’homologation/validation.

L’IA comme assistant virtuel de la gestion des exigences

Denis Debaecker, Senior Partner chez Mews, a 30 ans d’expérience dans le Product Lifecycle Management.

La gestion des exigences est particulièrement ardue dans la définition et la conception de produits très complexes (avions, véhicules, navires, usines…). Les exigences couvrent de manière détaillée tous les systèmes et sous-systèmes, parfois de manière redondante ou contradictoire ou peu explicite – « respecter la réglementation en vigueur ». Certains produits complexes possèdent en outre des exigences de niveau confidentiel, qui doivent être prises en compte de manière spécifique dans la conception.

L’analyse sémantique de ce corpus peut être assistée par des algorithmes de traitement de langage naturel (Natural Language Processing), capables d’analyser le texte, puis d’en extraire des éléments, proposer des consolidations, effectuer des recherches de cohérence, et d’une manière générale, travailler à la traçabilité et compréhension de cette masse d’informations.

Enfin, dans la gestion d’un cycle de développement en V, ces algorithmes peuvent aider à la traçabilité des différentes phases, y compris dans la partie de remontée du cycle en V, avec la qualification et la vérification des exigences.

L’ingénieur augmenté, une vision qui reste à bâtir

Ces différentes contributions de l’IA dans l’ingénierie sont pour l’instant cantonnées à des cas particuliers, des ‘‘ Preuves de Concept ’’, ou à des liaisons faibles, peu intégrées, entre les ingénieurs et ces outils. La capacité accrue de l’IA à gérer des données provenant de systèmes hétérogènes est un vrai atout pour aider les entreprises à tirer parti des très grands volumes de données gérés dans et autour de l’ingénierie. Malheureusement, nous sommes encore très loin de la vision de l’assistant Jarvis présentée dans le film Iron Man, qui est partie prenante à part entière de la conception, en soutien de l’ingénieur ! Les étapes vers cette vision étant à portée de main, la feuille de route de ‘‘ l’ingénieur (modestement) augmenté ’’ est à bâtir au cas par cas.

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