Jumeau numérique

Nemo’s Garden fait pousser des plantes sous la mer

Le spécialiste italien des équipements de plongée, Ocean Reef, se lance avec sa spin-off Nemo’s Garden dans un nouveau défi : faire pousser des plantes sous la mer. Une approche originale qui s’appuie sur les technologies de Siemens, tant pour la collecte des données et leur utilisation pour un pilotage intelligent des prototypes, que pour la création de jumeaux numériques servant à la conception, la simulation et l’optimisation des futures installations.

Dans l’imaginaire collectif, l’homme a toujours pensé que les abysses abritaient des villes-sous-marines où vivaient des civilisations qui nous étaient inconnues. Si les progrès techniques du XXe siècle n’ont pas permis de les rencontrer, ils ont contribué à une meilleure connaissance de ces zones, plus de 70 % de la surface du globe, et autorisé des expériences de vie sous la mer. L’un des précurseurs fut Jacques-Yves Cousteau qui, dès le début des années 60 avec ses expériences Précontinent I, II & III, créa de véritables « maisons sous la mer » dotées de fermes sous-marine.

« Le commandant Cousteau est l’un des pionniers de l’industrie subaquatique et l’une des sources d’inspiration de notre groupe Ocean Reef depuis des décennies, et plus récemment pour notre projet Nemo’s Garden, visant à développer une agriculture sous-marine durable », explique Luca Gamberini, co-fondateur avec son père Sergio Gamberini, président du groupe italiano-américain Ocean Reef, de la start-up Nemo’s Garden en 2021.

Nemo’s Garden a développé un prototype de biosphère subaquatique, une serre sous-marine qui tire parti des facteurs environnementaux favorables qu’offre l’océan (température stable, production d’eau par évaporation, absorption du CO2, abondance d’oxygène, surpression relative et protection inhérente contre les parasites) pour créer un environnement idéal pour l’agriculture en hydroponie. « Cette idée est issue de discussions que mon père a eues il y a une dizaine d’années avec un ami fermier. Pour être franc, je n’y croyais pas beaucoup car cela me semblait très compliqué et très décalé par rapport à nos activités industrielles (développement et fabrication d’équipements de plongée et de communications sous-marines). Mais finalement cela m’a paru être un challenge d’ingénierie intéressant dans le contexte du développement durable. »

Ces fermes sous-marines compléteront les pratiques agricoles traditionnelles pour produire très localement des plantes dans des zones côtières reculées ou dans des zones ne disposant pas de terres cultivables et d’eau douce. De plus, elles pourront aussi produire dans un milieu parfaitement contrôlé des plantes destinées aux cosmétiques ou à la pharmacie, car la culture sous pression augmente la densité en micronutriments. « Tout comme on met en place un mixte-énergétique, on aura un mixte-agricultural. »

La première implantation prototype à Noli dans le golfe de Gênes comporte 6 biosphères de 2 m immergées entre 6 et 12 m de profondeur. Doc : Ocean Reef Group 2022

Des demi-sphères prototypes

Les solutions techniques envisagées pour créer ces biosphères ont évolué, passant d’une structure souple en PVC, au moulage d’un dôme monolithique en méthacrylate posé sur une structure en acier inoxydable assurant son ancrage aux fonds. « Une évolution technologique qui a été possible grâce à partenariat noué avec Siemens, qui nous a permis de faire plus et plus vite. Nous avons développé des demi-sphères prototype de 2 mètres de diamètre, qui sont le bon compromis entre nos capacités de moulage et la qualité que nous pouvons obtenir, ainsi que les contraintes de logistique et la stabilité de l’ensemble. Mais la sphère n’est pas la meilleure forme pour maximiser le volume utile. C’est pourquoi nous voulons explorer d’autres formes à l’aide de la simulation, beaucoup moins couteuse que des essais physiques. »

Suivant les lieux, les dômes sont immergés entre 6 et 14 m de profondeur, ce qui évite les paliers de décompression lors de la remonté et réduit les compétences nécessaires pour les plongeurs. En plus, les dômes sont à l’abri de l’action des vagues, sans trop occulter ni modifier le spectre de la lumière solaire, afin de ne pas affecter la croissance des plantes.

Mesurer, modéliser, comprendre, optimiser

Luca Gamberini, cofondateur de Nemo’s Garden. Doc : Ocean Reef Group 2022

Les sphères prototypes ont été équipées de multiples capteurs IoT dont les données sont collectées et traitées par MindSphere. Elles servent à entraîner les algorithmes de Machine Learning, qui seront ensuite chargés sur les unités de traitement Industrial Edge de Siemens présentes dans chaque biosphère.
La croissance des plantes est ainsi surveillée en temps réel via un tableau de bord hébergé dans le Cloud. La saison prochaine, ces Industrial Edge seront connectées à des actionneurs, ce qui permettra de contrôler automatiquement et en permanence la circulation de l’air, le taux d’humidité, l’irrigation et le dosage des nutriments dans chaque biosphère.

Toutes les données acquises sur les prototypes vont aussi alimenter les outils de conception et de simulation, utilisés pour développer de futures biosphères. « Pour créer nos équipements de plongée sous-marine, nous utilisons des logiciels traditionnels de CAO, tels Pro/Engineer et Rhinoceros. Mais nous avons découvert avec Siemens un portefeuille applicatif qui nous permet de tout simuler de manière époustouflante, tout en restant relativement facile d’accès. »

« Nous importons les modèles CAO de Pro/Engineer dans la suite Xcelerator de Siemens Digital Industries Software pour effectuer toutes les simulations avec les outils Simcenter. Outre, les analyses structurelles avec Nastran, ainsi que hydrodynamiques et thermiques des demi-sphères en 3D avec Star-CCM +, nous simulons aussi avec Amesim les systèmes en 1D, qu’il s’agisse des cycles de l’eau, du gaz ou de l’énergie. Toutes ces simulations alimentent l’outil d’optimisation multi-domaines Heeds, qui permet de trouver le compromis idéal entre tous ces facteurs. »

Grâce à la simulation, l’équipe de Nemo’s Garden teste de nouveaux concepts sans passer par des essais physiques, ce qui permet une itération rapide de la conception. Doc : Ocean Reef Group 2022

Un jumeau numérique pour anticiper et piloter

« L’utilisation de toutes ces technologies nous permet de créer de véritables jumeaux numériques de nos installations, afin de les adapter parfaitement à l’environnement où elles devront être installées. Si vous pouvez modéliser virtuellement cet environnement avant de commencer la conception, vous pouvez prévoir les défis et les relever de la meilleure façon. Cela nous a aidé à mieux comprendre l’écoulement de l’eau autour des parois externes de nos biosphères et à déterminer où se situent les contraintes sur leur structure. Aujourd’hui, nous comprenons également l’effet sur les plantes des différentes interactions entre le rayonnement solaire, la température et tous les facteurs physiques. Et tout cela grâce à la capacité du jumeau numérique à reproduire notre système », explique Luca Gamberini.

Fort de ces premiers développements Nemo’s Garden se lance maintenant dans la conception de structures sous-marines mieux adaptées à une production plus importante de plantes. Les premiers travaux portent sur une forme de tunnel offrant un volume utile plus facilement utilisable du fait de sa hauteur sous voute plus importante que dans la demi-sphère.

L’approche novatrice de l’agriculture proposée par Nemo’s Garden suscite de l’intérêt à la fois côté académique et industriel. « Nous travaillons déjà avec les Universités de Gênes et Pise sur différents aspects. Mais la collaboration avec Siemens devrait nous ouvrir des portes de nombreuses autres universités, notamment hors de l’Italie, sur des aspects beaucoup plus globaux. En effet, ces sphères sont un écosystème complet à haute densité technologique dans un faible volume, ce qui permet par exemple à un étudiant d’appréhender tous les aspects d’un système complet (mécanique, génie chimique, agriculture, biologie, modélisation, maintenance prédictive, Machine Learning…), aussi bien qu’il le ferait dans une usine agroalimentaire. »

Mais certains industriels ont aussi approché Nemo’s Garden. « Nous sommes par exemple en contact avec l’Agence Spatiale Européenne (ESA) qui souhaite évaluer nos technologies pour éventuellement les adapter pour la culture de plantes sur des planètes. De même, nous avons aussi été contactés par des industriels pharmaceutiques français. »

Une approche innovante que ne renierait pas le capitaine Nemo !

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